Statistiques de la délinquance 2024 : une inquiétante stabilisation sur de mauvais résultats

Publié le 12/02/2025 à 13h16

Le Service des Statistiques du ministère de l’Intérieur (SSMI) vient de communiquer les statistiques de la délinquance pour 2024. Comme chaque année, Julien Sapori fait le point sur la situation (voir nos articles de 2024 et 2023). Rien de bien rassurant, estime-t-il…

Statistiques de la délinquance 2024 : une inquiétante stabilisation sur de mauvais résultats
Entrée du ministère de l’Intérieur, place Beauvau (Photo : ©AdobeStock/kovalenkovpetr)

 

Rubriques Année 2024 Année 2023
Homicides  -2% + 5%
Tentatives d’homicides +7% +13%
Violences sexuelles +7% +8%
Vols avec armes à feu (inchangé) +2%
Vols avec violences sans armes -11% -8%
Vols sans violences -5% -3%
Coups et blessures volontaires +1% +7%
Cambriolages de logements +1% +3%
Vols de véhicules automobiles -1% +4%
Vols dans les véhicules automobiles +1% +4%
Vols d’accessoires de voitures +4% -9%
Destructions et dégradations volontaires -4% +3%
Escroqueries (inchangé) +7%
Trafic de stupéfiants +6% -1%
Usage de stupéfiants +10% +4%

 

Dans les grandes lignes, 2024 confirme les mauvais résultats de 2023, avec une stabilisation des homicides et une nouvelle augmentation, significative, des tentatives d’homicide, des viols et des violences sexuelles.

Il faut préciser que ces données et leurs commentaires ne concernent que les infractions commises en France métropolitaine. L’augmentation à proprement parler « vertigineuse » qu’a connu en 2024 la délinquance en Nouvelle-Calédonie, est caractéristique d’une situation insurrectionnelle qu’on ne peut pas analyser avec des critères conçus pour un pays où règne la paix sociale. À ce titre, son analyse n’a pas sa place ici.

Homicides, tentatives d’homicides et viols

La rubrique « homicides réalisés » comptabilise, pour l’année 2024, un total de 980 faits. On en avait comptabilisé 816 en 2020, 881 en 2021, 959 en 2022 et 1010 en 2023. Si la progression a donc été stoppée en 2024, le chiffre global reste important, puisque environ trois homicides sont désormais commis chaque jour en France. Cette légère amélioration constatée en 2024 (30 faits en moins), est-elle significative ou bien imputable à la trêve entre clans rivaux à Marseille ou encore – à tout seigneur tout honneur – à une meilleure réactivité des services de secours ? La question peut paraître incongrue, mais mérite d’être posée, puisque le nombre de tentatives d’homicides a encore enregistré, en 2024, une progression importante de l’ordre de 7% (de 3 584 à 4 305 faits).

Les viols (intégrés ci-dessus dans la rubrique « violences sexuelles », en augmentation de 7%) ont connu une progression importante de 9%. À noter qu’en matière de violences sexuelles, les délais moyens de dépôt de plainte après les faits ne cessent d’augmenter, atteignant en 2024 les six mois et rendant, de ce fait, de plus en plus difficile l’identification et la condamnation des auteurs. Police et Justice sont entrées dans une spirale infernale : les associations féministes dénoncent l’inefficacité de la réaction judiciaire, tout en réclamant des délais légaux de plus en plus longs avant le dépôt de plainte, ancrant dans l’esprit des victimes que « rien ne presse ».

La guerre des stups à Marseille a eu lieu

Je rappelle qu’en matière de stupéfiants, les faits constatés sont dus uniquement à l’activité policière. La progression importante du nombre d’usagers (+ 10%), confirme celle déjà enregistrée l’année précédente (+ 4%) et s’explique par la volonté affichée par le Ministère de l’Intérieur de s’attaquer en priorité au deal de rue par le biais des opérations très médiatisées appelées « place nette », aussi spectaculaires qu’impuissantes à s’attaquer au cœur du problème, c’est-à-dire la neutralisation des gros trafiquants. Dans les années précédentes, le Ministère avait déjà affiché sa volonté de se concentrer sur les usagers : le nombre d’interpellations avait progressé de 13% en 2022, et de 38% en 2021 ; il a donc doublé en l’espace de trois ans ; avec quel résultat… ? Il serait temps de faire le bilan de cette stratégie.

L’augmentation du nombre de trafiquants interpellés (+ 6%, après une diminution de 1% constatée l’année précédente) constitue, certes, en soi un bon signe, mais n’est manifestement pas à la hauteur de défi lancé par les narcotrafiquants, dont le rapport d’une commission d’enquête sénatoriale a souligné le développement très alarmant, susceptible désormais de menacer l’État de droit (voir l’article publié sur actu-juridique.fr le 03 juin 2024).

Les règlements de compte entre narcotrafiquants à Marseille ont marqué le pas en 2024, puisqu’on n’a enregistré « que » 24 morts contre 49 l’année précédente. Cette diminution significative ne s’explique pas par l’efficacité de la réaction des services de police et de la justice, mais par la fin (sans aucun doute provisoire…) de la guerre qui a opposé le clan Yoda au clan DZ Mafia, et qui a vu la victoire de ce dernier. Pas de quoi pavoiser pour l’État donc…

Diminution de la « petite délinquance »… ou transfert vers des activités plus lucratives ?

Mis à part la diminution (minime) des homicides, les seules rubriques en baisse sont celles relatives aux vols avec violences sans armes (- 11%), les vols sans violences (- 5%), et les destructions et dégradations volontaires (- 4%), ce qui confirme l’évolution déjà constatée en 2023. Il semble bien qu’on assiste donc à un transfert vers des formes de délinquance plus violentes (meurtres et tentatives de meurtres, viols…), mais aussi plus structurées et plus rentables (trafics de stupéfiants).

Il faudra attendre l’année prochaine pour savoir si la petite diminution des vols de voitures (- 1%) est significative ou pas, et si les « spécialistes » de cette branche ne se sont pas déplacés vers les vols d’accessoires automobiles (+ 4%), peut-être plus faciles à réaliser et plus rentables : exemple, le vol de pots catalytiques contenant du rhodium ou celui de batteries, contenant d’autres métaux rares.

Il est intéressant de noter que les délinquants étrangers sont largement surreprésentés dans certaines rubriques relevant de la « petite » délinquance : ils représentent 39% dans les vols de véhicules, 38% dans les cambriolages et 30% dans les vols avec violences sans armes (alors qu’ils ne constituent que 8% de la population). Manière, sans doute, de « faire ses classes » quand on ne dispose pas du savoir-faire et des relations qui permettent de passer à des formes de délinquance mieux organisées et plus lucratives. Sommes-nous en présence d’un « cursus honorum » pour délinquants ?

 La France s’installe durablement dans l’insécurité

Pour la quatrième année consécutive, le bilan de la délinquance est franchement mauvais, l’augmentation des faits constatés les plus graves se poursuivant inexorablement. Ce n’est plus, désormais, un phénomène ponctuel : on aurait pu le penser à l’issue de la période COVID et de ses mesures de confinement prises en 2020 et 2021 qui avaient bousculé les habitudes ; et aussi par le fait que désormais – et fort heureusement – on réalise finalement une meilleure prise en compte des violences sexuelles. De toute évidence, nous sommes désormais confrontés à un nouveau paradigme particulièrement inquiétant, qui nécessiterait de repenser de manière radicale toute la politique sécuritaire française.

 

 

Voir aussi les données provisoires et  l’atlas départemental de la délinquance en 2024

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