Les recalés du nouveau concours professionnel d’accès à la magistrature se rebellent !

Publié le 27/03/2025 à 21h18

Environ 700 candidats ne passeront pas le concours professionnel d’accès à la magistrature le 2 avril prochain. La direction des services judiciaires a décidé qu’ils ne répondaient pas aux conditions fixées dans les textes. Les intéressés sont nombreux à ne pas se résigner, ils ont saisi le Conseil d’état. Explications sur une nouvelle procédure très contestée.

Les recalés du nouveau concours professionnel d’accès à la magistrature se rebellent !
Photo : ©AdobeStock/Sophie Animes

Depuis plusieurs jours, le Conseil d’État fait face à un afflux inédit de recours en référé-suspension de la part des candidats auxquels la chancellerie a refusé l’accès au concours professionnel de l’École nationale de la magistrature (ENM) qui aura lieu le 2 avril prochain. La direction des services judiciaires est, en effet, en plein rodage de la nouvelle procédure mise en place par la loi organique du 20 novembre 2023 qui a modifié les articles 22 à 25_5 de l’ordonnance de 1958 et suivants de l’ordonnance. La réforme avait pour objet d’ouvrir la magistrature à de nouveaux profils. En conséquence, le concours a été réduit à une épreuve de note de synthèse de 5 heures (au lieu de 3 épreuves écrites) et la formation à l’ENM légèrement rallongée pour compenser.

Sur 1500 candidats, 700 ont été recalés

Pour être admis à concourir, selon les nouvelles conditions, il faut être titulaire d’un master ou équivalent, et d’une expérience professionnelle « particulièrement qualifiante » de 7 ans pour le second grade et 15 ans pour le premier grade (ces durées sont réduites pour les personnes ayant une activité judiciaire : avocats, directeurs de greffe, assistant de justice…). La Chancellerie a reçu, au titre du concours 2025 1 500 candidatures ; parmi elles, 800 ont été acceptées (à quelques dossiers près dans chaque catégorie), pour 110 postes ouverts, dont 98 de second grade et douze de premier grade. « Chaque année, la moitié des candidats admis ne s’estiment pas prêts et ne se présentent pas, confie une juriste qui n’a pas été acceptée et a déposé un recours, cela fait donc environ 400 candidats effectifs pour 100 postes, ce qui est un bon ratio ».

Soupçon de bug informatique 

Le problème, cette année, c’est la contradiction entre les appels massifs à candidatures lancés par l’ENM et le nombre tout aussi massif de personnes recalées alors qu’elles estiment avoir présenté des dossiers sérieux cochant toutes les cases.

Trois profils se dégagent parmi les recalés qui ont décidé d’intenter un recours. Il y a d’abord les victimes de ce qui ressemble fort à un bug informatique. Les candidats ont été invités à faire leur demande sur le site de l’ENM en précisant le grade choisi, puis à déposer les pièces sur le site de  Démarche simplifiée du gouvernement. Or, plusieurs ont reçu une décision de refus motivée par le fait qu’ils auraient concouru dans la mauvaise catégorie. Le Conseil d’état a été saisi d’un recours sur ce fondement. Lors de l’audience, la candidate concernée a fait valoir que le bordereau du second site indiquait la bonne catégorie, ce qui prouvait à ses yeux, d’abord qu’elle ne s’était pas trompée, et ensuite, qu’il y avait vraisemblablement un problème avec le fonctionnement du site de l’ENM. Ce d’autant plus qu’elle a recensé au moins trois autres candidats dans la même situation.  Le ministère en a simplement déduit que plusieurs personnes s’étaient trompées et a maintenu sa fin de non-recevoir. Quand on sait que beaucoup de candidats mettent à leur vie professionnelle et s’inscrivent dans des formations de plusieurs mois pour participer à ce concours, on mesure leur colère quand ils échouent si près du but pour une erreur d’aiguillage.

L’exigence d’une expérience professionnelle « particulièrement qualifiante »

Autre profil, plus fréquent, celui du candidat dont l’administration estime qu’il ne remplit pas la condition de « l’expérience particulièrement qualifiante ». Celle-ci figurait déjà dans les anciens textes, et un début de jurisprudence fixe trois critères : la variété des fonctions exercées, la technicité, et l’autonomie. Parmi les professionnels ayant exercé un recours, le Conseil d’état a examiné ce jeudi, à l’audience de 14 heures, le cas de Madame B. chef d’entreprise de transport sanitaire. Depuis 1999, elle a été directrice générale, puis présidente de holding, s’est occupée en particulier de la fonction RH et de la vie sociale du groupe d’entreprises (mère et filiales), sans compter ses nombreuses activités syndicales. Elle invoque donc 22 ans en tant que dirigeante. Elle a également une expérience de conseiller prud’homale depuis 2022 (264 heures de vacation, 103 décisions prononcées). Apparemment très motivée, elle a eu l’occasion de s’entretenir avec des magistrats qui lui auraient indiqué que son profil était parfait et qu’elle avait « déjà un pied dans la maison » explique-t-elle à l’audience.

Tel n’a pas été l’avis de la DSJ. Son expérience prud’homale lui est reconnue, mais elle ne compte que pour une durée de 2 mois et 13 jours sur les 7 ans d’expérience exigés. Pour le reste, l’activité de RH mentionnée sur certaines fiches de postes lui permet de comptabiliser trois ans de plus, mais pas les actes courants de vie de l’entreprise. Ce qui désole la candidate et met en exergue une difficulté liée au dépôt de documents sut un site internet : comment expliquer la réalité de ce qu’on a fait pendant plusieurs décennies sans noyer son interlocuteur sous des détails ?

Le Président vient à son secours « Dans quel domaine du droit avez-vous une compétence solide ? l’interroge-t-il.

— Le droit du travail et plus généralement le social. Je maitrise les contrôles URSSAF, la RH, la gestion des délégués du personnel. Et aussi le droit des obligations. J’ai souvent rédigé et défendu  des contrats commerciaux et en droit bancaire. Sans oublier le droit des sociétés, en matière de création, mais aussi d’entreprise en difficultés ».

De l’autre côté de la table, le ministère ne semble toujours pas convaincu. Le président quant à lui estime qu’il faut aller plus loin et repousse la clôture de l’instruction à vendredi à 17 heures pour laisser le temps à la candidate d’apporter de nouveaux documents maintenant qu’elle connait mieux les exigences de l’administration et au ministère de lui répondre. « J’y passerai la nuit, mais vous les aurez ! » a-t-elle conclu au bout d’une heure quinze de débats.

Certains fonctionnaires exclus en raison de leur statut ?

L’affaire suivante illustre un autre type de cas, celui des fonctionnaires de justice passés récemment de la catégorie B à la catégorie A. Cela concerne les greffiers et les CPIP (conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation). C’est justement une CPIP qui entre, accompagnée de son avocat. Comme les autres requérants, elle justifie son recours en urgence par le fait que le concours a lieu la semaine prochaine. Ce à quoi l’administration répond que si on rate un concours, on peut toujours se représenter. Elle conteste aussi la motivation qualifiée de stéréotypée, qui ne permet pas de savoir ce qui ne va pas. Le ministère rétorque qu’elle est succincte en raison du nombre de dossiers à examiner et du timing, mais explique que c’est toujours ainsi quand le dossier ne convainc pas et qu’en cas de problème particulier, c’est mentionné.

Comme dans le dossier précédent, l’essentiel de la discussion porte sur l’expérience particulièrement qualifiante. Mais les raisons ici du refus sont différentes. C’est un décret de 2019 qui a changé le statut des CPIP pour les faire passer en catégorie A. Problème, pour l’administration, la candidate ne cumule que six ans, deux mois et un jour d’exercice professionnel à ce titre. Il manque donc presque dix mois. Le ministère a interrogé l’administration pénitentiaire qui lui a expliqué que cette valorisation du statut s’était accompagnée de nouvelles fonctions. Les CPIP seraient passés de simples agents d’exécution à concepteur de programmes d’accompagnement. Ce qui se traduit en langage DSJ par : autonomie et technicité ne sont apparus qu’en 2019. À l’audience, la requérante a expliqué qu’elle avait 20 ans d’expérience, et qu’en 2009 déjà, elle avait mis en place un programme de prévention de la récidive à Melun. Selon elle,  le changement de statut n’a fait que reconnaître et valoriser des missions qui existaient déjà. « C’est une erreur de droit avant même d’être une erreur manifeste, observe Me Regis Froger. L’ENM incite à concourir et, en réalité, on ne peut pas. On nous dit qu’on a écarté les CPIP car ils étaient en catégorie B. Mais à aucun moment la loi ne dit qu’on doit se référer au statut ».

 Une jurisprudence très attendue…

Embarrassée, l’administration tente de se rattraper en expliquant que les dossiers sont examinés concrètement, car « on pourrait tomber sur un poisson volant ». « Si les intéressés ne sont pas incités à produire de documents complémentaires puisque leur fonction suffit à connaître leur activité, comment vous identifiez, les poissons volants ? interroge le président. A l’audience de référé ? »  Tout le monde sourit, mais très vite, le ministère se crispe de nouveau. Il indique que la candidate le conforte dans son analyse en ne démontrant pas l’existence de ces conceptions de programmes dans les mois précédant la réforme.  Elle a pourtant tenté d’expliquer à l’audience que ces missions existaient depuis toujours. L’examen de ce dossier touche à sa fin, l’avocat souligne en guise de conclusion que sa cliente a suivi une formation préparatoire au concours de un an alors même qu’il ne lui manque que dix mois d’expérience….

Parmi les recalés de cette session, on trouve également des greffiers de catégorie B, un officier de police judiciaire, plusieurs juristes de banque et d’assurance ayant plus de 10 ans, voire plus de 15 ans d’expérience…

Qu’en déduire ? Que les décisions à venir du Conseil d’État, étant précisé que plusieurs requérants ont décidé d’agir au fond, seront très utiles pour éclairer les futurs candidats sur les critères pris en compte, notamment s’agissant de « l’expérience particulièrement qualifiante ». En l’état, le fait d’avoir déjà concouru et d’avoir été admis une première fois ne constitue pas une garantie qu’on le sera de nouveau ; sur ce point,  le ministère a indiqué à plusieurs reprises qu’il n’était pas tenu par les décisions des commissions de l’ancien système. Ainsi, des professionnels admis les années précédentes ont été rejetés cette année, avec le même dossier. Les expériences de fonctionnaires de catégorie B, en l’état, ne comptent pas. Ou plus, car en 2023, 86 fonctionnaires de catégorie B avaient posé leur candidature, 51 s’étaient présentés au concours, 31 étaient admissibles et 14 avaient été reçus. Enfin, il semble, à entendre le ministère argumenter, que bien que le texte de l’article 25 évoque une expérience professionnelle « dans le domaine juridique, administratif, économique ou social », la technicité requise soit principalement, pour ne pas dire exclusivement, juridique.

Les recalés du nouveau concours professionnel d’accès à la magistrature se rebellent !
Extrait du rapport du jury du concours complémentaire 2023

 

Mise à jour 31 mars à 11h21 : Par une ordonnance du 29 mars, le Conseil d’état otrdonne au ministère de réexaminer la candidature de la chef d’entreprise en vue de l’autoriser à participer au concours du 2 avril.

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