Affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras : la défense plaide la relaxe et la dispense de peine

Publié le 10/04/2025 à 14h58

Les avocats de la défense ont plaidé mercredi 9 avril devant la cour d’appel de Paris pour leurs confrères mis en cause dans ce dossier, mais aussi pour toute une profession, meurtrie et inquiète.

Affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras : la défense plaide la relaxe et la dispense de peine
Palais de justice de Paris (Photo : ©AdbeStock/neiezhmakov)

Ils sont dans le prétoire, sans robe. Et sans doute Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras se sentent-ils terriblement nus devant ces magistrats avec lesquels habituellement ils travaillent mais qui, depuis dix jours, les jugent en appel. La veille, l’avocat général Christophe Auger a requis la relaxe pour l’accusation de complicité de tentative d’escroquerie au jugement (notre article ici). Et soudain, l’air s’est fait plus léger. Vu des bancs du public, on avait le sentiment que la famille judiciaire commençait à se réconcilier après un trop long et bien trop violent conflit, une déchirure qui a fait deux victimes, Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban. Ils y ont laissé pour le plus jeune bien des illusions et, pour le plus âgé, un peu de sa carrure de « seigneur ».

La famille professionnelle est venue

Ce mercredi est le jour des plaidoiries. Si l’ambiance est nettement moins lourde qu’en première instance, les plaies sont encore à vif. L’espoir de la défense est que l’on puisse refermer ce dossier sur une belle décision d’appel qui confirmera qu’il n’y a pas eu et qu’il ne pouvait y avoir de complicité de tentative d’escroquerie au jugement de la part de ces deux avocats. Et, si possible aussi, d’obtenir l’allègement des peines prononcées au titre de la violation du secret professionnel. Ils ont bien commis ce délit et le reconnaissent, mais ils avaient des circonstances atténuantes ; qui plus est, ils ont suffisamment payé leur faute avec tout ce qu’ils ont enduré depuis le début de cette procédure. Sur les bancs du public, où prennent place habituellement les familles dans un procès pénal, se serrent les 11e secrétaires de la conférence pour Xavier Nogueras qui est un des leurs, et les jeunes collaborateurs de son cabinet pour Joseph Cohen-Sabban. Les voilà, les familles des pénalistes et ça en dit long sur la place qu’occupe le métier dans leur vie.

Le pénaliste court toujours après le temps

Me Christian Saint-Palais est le premier à prendre la parole, en défense de Joseph Cohen-Sabban. Habituellement, c’est le plus jeune qui commence – ici cela aurait dû être Me Steeve Ruben – mais précisément, l’avocat a un autre procès qui l’attend. « Si celui que je défends après savait qu’en ce moment je ne pense pas à lui, il me le reprocherait » commente-t-il. Ainsi va la vie de pénaliste, il court toujours après le temps. Ce qui a pu être qualifié de négligence à l’encontre des avocats dans ce dossier n’est en réalité que la manière dont ils sont contraints de travailler au quotidien.  Ce sera l’un des fils rouges des plaidoiries que d’expliquer aux magistrats les difficultés du métier.

La violation du secret professionnel leur a valu tois ans d’interdiction d’exercer avec sursis et 15 000 euros d’amende en première instance. Si la matérialité de l’infraction est acquise et non contestée, encore faut-il ensuite en démontrer la gravité. Nous sommes après l’arrêt de mise en accusation, explique Me Saint-Palais qui cite l’analyse de l’ancien vice-bâtonnier Vincent  Nioré (lire son article ici). Selon celui-ci, une fois l’instruction terminée et la cour saisie, le secret n’est plus le même, il perd de l’intensité. « Je suis très attaché au secret et j’entends qu’on nous fasse grief de ne pas le respecter, mais, précise Christian Saint-Palais,  le dossier d’assises a toujours été la propriété du client. Autrefois c’était de gros tomes rouges, que l’avocat allait chercher au greffe et lui apportait  dans sa cellule, c’était sa propriété et il en faisait bien ce qu’il voulait ». Selon lui, il était donc possible de remettre des documents à un tiers en accord avec le client. D’ailleurs, rappelle-t-il, beaucoup de journalistes ont les ORTC (ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel) et les OMA (ordonnance de mise en accusation) des procès qu’ils couvrent, car on considère que ces documents ne sont pas couverts par le secret.

« On peut explorer plusieurs voies, on aboutit toujours à la relaxe »

S’agissant de la complicité de tentative d’escroquerie au jugement, Me Saint-Palais rappelle que, selon le tribunal, en l’absence de connaissance de la fausseté du document, il ne pouvait pas y avoir de condamnation.  Or, la manipulation ne pouvait fonctionner que si précisément les avocats n’étaient pas au courant. « Nous savons que nous pouvons être instrumentalisés, mais ceux qui mènent ces projets savent bien qu’il ne faut pas nous inclure ». Puis il souligne que l’avocat général conclut de la même façon au terme d’un raisonnement différent.« On peut explorer plusieurs voies, on aboutit toujours à la relaxe » constate Christian Saint-Palais. Quels pouvaient être les griefs du réquisitoire de première instance pour justifier une condamnation ? La négligence ? « Nous ne contestons pas les imperfections, mais elles ne manifestent jamais l’adhésion au projet criminel ». L’abstention ? « À condition que l’auteur ait choisi en connaissance de cause de s’abstenir ». En réalité, il n’y avait qu’un seul critère à retenir : « oui ou non connaissions-nous la fausseté des pièces ? L’ORTC et le jugement ont répondu : non ». Et l’avocat de conclure, « nous espérons repartir le cœur plus léger, la passion ravivée, c’est important pour le barreau et aussi pour la justice ».

 « Un seigneur qui a perdu son sourire, un seigneur que j’ai vu en larmes… »

Me Steeve Ruben prend à son tour la parole. Changement de style avec ce bouillonnant plaideur qui fut le collaborateur de Joseph Cohen-Sabban, puis son associé avant de s’installer à son compte. À l’éloquence tranquille, teintée d’un chantant accent béarnais de son prédécesseur, succède un ténor agité qui alterne tempête et mezzo voce, au gré des vagues de passion qui le transportent. « On peut avoir l’impression que les choses se sont apaisées. Mais Joseph Cohen-Sabban n’oublie rien. Chaque jour, il porte le poids énorme de cette humiliation, c’est le procès d’une profession » explique-t-il. Me Marie Violleau à la barre a évoqué, deux jours plus tôt,  « un seigneur », Me Ruben complète :  Joseph Cohen-Sabban, c’est une « puissance », un « cœur », un « Marseillais dans l’âme » qui a appris à la centaine de professionnels formés à son école, le respect, la mesure, l’indépendance, à savoir dire oui ou non, « mais toujours dans la défense ». Un seigneur qui a perdu de sa superbe, depuis cette affaire explique-t-il, qui n’a plus la force de marcher autrement qu’avec une canne, et ne peut aller déjeune aux Deux palais entre midi et deux parce que ça lui prendrait trop longtemps de faire l’aller-retour. Alors, il déjeune d’un sandwich sur les marches. « Un seigneur qui a perdu son sourire, un seigneur que j’ai vu en larmes à l’audience correctionnelle, lorsqu’il exprimait l’humiliation qui était la sienne. Il a été violé dans son intimité par cette justice, notre institution, cette justice à qui il a donné 48 ans de sa vie, par des juges obtus, sourds, échafaudant des accusations qui n’existaient pas ».

« Ce que vous allez écrire, c’est la vérité qui restera »

Puis il explique que les mots prononcés la veille par l’avocat général lui ont redonné espoir, « pour la première fois, hier, je l’ai revu sourire ». À la cour il déclare « vous n’avez pas le droit à l’erreur. Ce que vous allez écrire, c’est la vérité qui restera ». Alors il explique la difficulté d’un métier qui « n’est qu’une série d’échecs », tant il est difficile quand la machine judiciaire se met en marche, de l’arrêter, cela nécessite « tellement de courage, tellement de mots ». Et pourtant «  il faut accepter que la justice puisse se tromper, c’est ça la beauté de notre métier ». Depuis cette affaire, tous les avocats redoublent de vigilance, mais qu’ils aient six ans ou quarante ans de barre, c’est l’engagement qui met en risque, confie-t-il encore, avant de conclure :  « quand on est trahi, ça nous fait mal et quand en plus on vient chercher notre responsabilité, c’est le plus terrible ».

Était-il nécessaire de se porter sur le terrain de la négligence ?

Après la suspension pour le déjeuner, les plaidoiries reprennent, cette fois en défense de Xavier Nogueras. « Il était temps qu’en audience publique, il puisse être dit, qui plus est par un magistrat représentant l’accusation, qu’à aucun moment Xavier Nogueras n’avait voulu tromper les juges de la cour d’assises de Paris » commence Me Matthieu Chirez. Sobre, méthodique, il est venu dire le plus calmement possible la colère que lui inspire cette procédure. Une colère qui trouve sa source dans ce qu’a vécu le confrère qu’il défend : « depuis le 6 février 2020, il vit avec le spectre de celui qui a voulu tromper les juges, cet avocat qui envisage son métier par le prisme même de la magistrature ». Me Chirez fait référence au fait que le père de Xavier Nogueras était juge d’instruction. Ce qui le met en colère, c’est aussi l’acharnement.  Était-il nécessaire de se porter sur le terrain de la négligence pour mener cette action en justice, puis de faire appel du jugement de relaxe et de rallonger encore de deux ans la procédure ?

« Si ça avait été traduit, on n’en serait pas là… »

Oui, Xavier Nogueras a transmis la centaine de DVD de la procédure espagnole à l’homme de main de son client, mais n’avait-il pas des raisons compréhensibles de le faire ? Quand il se voit confier la défense de Robert Dawes parce qu’il est de permanence, pour l’interrogatoire de première comparution, il commence par contester la validité des sonorisations de la procédure espagnole qui fondent l’accusation en France. Mais la chambre de l’instruction rejette ses demandes, en précisant qu’il doit d’abord solliciter l’accès aux DVD et, ensuite, éventuellement en réclamer la traduction. Xavier Nogueras suit la consigne, mais le juge d’instruction refuse d’accéder à sa demande de traduction.   Finalement, on lui transfère les DVD le 11 avril, l’avis de fin d’information est tombé le 24 mars 2017. Il faut bien trouver une solution pour comprendre ce qu’il y a dedans, ce sera de faire appel à l’avocat espagnol du client, via Evan Hugues, l’homme lige de Robert Dawes. Seulement voilà, l’avocat n’est pas désigné dans la procédure française et Hugues est un tiers à la procédure. « Si ça avait été traduit, on n’en serait pas là » regrette Me Chirez.

Une défense citoyenne

Il en arrive à la complicité de tentative d’escroquerie au jugement. La veille, le parquet a requis la relaxe au bénéfice de Xavier Nogueras en raison de sa mise à l’écart du dossier plusieurs mois avant le procès. Il rappelle les dates du calendrier qui le confirment. Mais il y a encore autre chose qui met Matthieu Chirez en colère, c’est qu’on n’ait pas davantage investigué du côté de l’avocat espagnol, car c’est peut-être là que se situent les éléments de réponse sur la généalogie du faux. L’audience d’assises approche, raconte-t-il encore, Xavier Nogueras est absorbé par son procès terroriste, mais il s’inquiète dans les conversations WhatsApp de la provenance du document, et ces conversations suffisent à les relaxer tous. Qu’avaient-ils besoin en effet d’exprimer entre eux leurs craintes d’être manipulés, s’ils étaient complices de la manœuvre ? L’avocat termine par l’évocation du témoignage d’Arthur Dénouveaux, le président d’une association de victimes du 13 novembre, Life for Paris,  avec lequel Xavier Nogueras qui défendait l’un des accusés à ce procès, a écrit un livre (1) pour incarner son idée de la défense citoyenne : « populariser le sens de la justice quand on était tous au cœur de l’horreur ». Me Matthieu Chirez plaide la relaxe sur l’infraction liée au faux et la dispense de peine s’agissant du secret professionnel. « Cela n’enlève rien à la culpabilité, mais le temps a fait son œuvre. Est-ce que le trouble a cessé ? Oui, est-ce que le dommage est réparé ? Oui ».

« La défense et l’accusation sont en harmonie »

Voici que Me Jean-Yves Le Borgne entre en piste. C’est à lui que revient la tâche délicate de succéder à Hervé Temime, disparu en 2023, quelques semaines après avoir plaidé pour Xavier Nogueras (notre récit ici). Si la puissance de son timbre a souvent fait trembler les murs des palais de justice, celui qui dit être venu « porter la voix de l’ancien bâtonnier chargé des affaires pénales » a choisi cette fois un registre plus intime. Il commence par souligner la « concorde » d’un débat où « la défense et l’accusation sont en harmonie ». Puis il confie que les proportions prises par cette affaire le surprennent. Il y a quelques décennies, ça se serait passé différemment, un président chenu aurait dit aux avocats « vous êtes bien sûrs de vos pièces ? ». À l’époque, il ne serait venu à l’idée de personne d’imaginer qu’un avocat puisse être dans cette « complicité sordide essayant de produire un faux pour tromper la cour ». On aurait pensé, en revanche,  « qu’une main pas trop innocente » aurait pu avoir l’idée de leur faire parvenir des documents pour qu’ils les produisent « dans l’enthousiasme de la défense ». Les temps ont changé, commente Jean-Yves Le Borgne, parce qu’on ne se connait plus.

« Je pose cette chose sale sur votre bureau »

Le 7 décembre 2018, trois jours avant le procès aux assises, quand Joseph Cohen-Sabban et Hugues Vigier (le troisième avocat de la défense, mis hors de cause par l’instruction) arrivent dans le bureau du président pour évoquer ce document, pouvaient-ils dire alors aux magistrats « J’ai mis des gants pour vous apporter cette chose sale sur votre bureau » ? Théâtral, l’avocat mime la scène et fait rire la salle.  « Ce serait trahir le client ! ».  En réalité, il y a des codes, explique-t-il. « Monsieur le président, voici les documents qui viennent d’arriver » cela signifie implicitement qu’il faut vérifier. Pouvaient-ils aller plus loin ?  « Non, et c’est le bâtonnier qui s’exprime, l’avocat ne peut implicitement accuser son client de vouloir tromper la cour ». D’ailleurs, poursuit Me Le Borgne, la défense n’aurait-elle pas demandé le supplément d’information que de toute façon il s’imposait à la cour. Rappelons que la fausse ordonnance refusait de prolonger la sonorisation et rendait donc nul l’enregistrement sur lequel reposait toute l’accusation. Le faussaire avait inversé le dispositif, en réalité, l’ordonnance prolongeait les écoutes.  Cela ne concerne de toute façon pas Xavier Nogueras, le « petit », maintenu dans le dossier par affection mais sorti opérationnellement depuis des mois, que l’on arrache quelques minutes à son procès terroriste pour signer les conclusions à la brasserie des Deux palais. Au demeurant, il y a son fameux « J’espère qu’on n’est pas manipulés » dans les échanges WhatsApp, preuve flagrante qu’il ne sait rien. Comme la remarque d’ailleurs, plus fleurie, de Joseph Cohen-Sabban qui dira « ce mec a choisi une stratégie qui va lui péter à la gueule ».

Un dossier « symptomatique de la misère qui est la nôtre »

Mais alors qui a fait les faux ? Quelqu’un qui sait nécessairement avec quel document il a travaillé, et donc que la fameuse ordonnance figure dans les DVD de la procédure espagnole que la cour possède elle aussi,  même si elle ne les a pas ouverts, et dont a été extrait une copie de travail qu’elle n’a pas lue non plus.  « C’est symptomatique de la misère qui est la nôtre » commente Jean-Yves Le Borgne. L’avocat déroule son idée : pour modifier une pièce espagnole, il faut parler la langue, ça ne peut être ni Xavier Nogueras ni Joseph Cohen-Sabban. Et puis il faut aussi être en capacité de réaliser une modification crédible. En clair, être un juriste espagnol. Mais de ce côté, la justice n’a pas creusé.

« Il est passé par des situations qui vont le marquer à vie »

S’agissant de la violation du secret professionnel,  Xavier Nogueras avait-il conscience de commettre une violation ? Je ne le crois pas à cause de ses exigences à la limite du ridicule : il demande un pouvoir de l’avocat espagnol et la photocopie de sa carte d’identité. Techniquement, c’est un tiers, il aurait fallu le faire désigner dans la procédure française. « C’est une violation du bout des lèvres que je voudrais que votre cour juge du bout du cœur » plaide Me Jean-Yves Le Borgne. Vient le temps de conclure. « Si nous faisons des métiers assez proches, dit-il en s’adressant aux magistrats, si, comme nous, vous fréquentez des gens peu fréquentables, nous avons une grande différence c’est que nous les fréquentons de plus près, et cela nous place dans une situation de vulnérabilité, de dangerosité ». Alors que faire ? s’interroge-t-il. « J’ai une idée : prononcer une déclaration de culpabilité et une dispense de peine. Il y a des moments où le fait est là, mais où l’on n’a pas envie de condamner. Xavier Nogueras est passé par des situations qui vont le marquer à vie, il pourra maintenant enseigner la déontologie et les jeunes seront effrayés par,ce qu’il leur expliquera sur les risques ». La voix magnifique s’éteint. Elle est suivie par ce silence d’une étrange consistance qui est encore un peu une plaidoirie et dans lequel plane ce qui pourrait bien être l’amorce d’une sensation de communion retrouvée.

La cour rendra sa décision le 8 juillet prochain.

 

 

(1) Arthur Dénouveaux, Charlotte Piret et WXavier Nogueras « Et nous nous sommes parlé : procès des attentats du 13 novembre 2015. Éditions de l’Aube 2022.

 

Retrouvez nos chroniques de ce procès, en première instance et en appel, ici.

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