Tribunal de Paris : « Il y a un moment où c’est le toboggan infernal »

Publié le 14/04/2025 à 9h00

Trois hommes ont volé un portefeuille dans le métro et se sont fait interpeller en flagrant délit. L’un d’eux a dû s’absenter pour raisons médicales, un autre a 70 ans et un cancer. Leur situation précaire et leur honnêteté à la barre leur valent la pitié – relative – du ministère public.

Tribunal de Paris : « Il y a un moment où c’est le toboggan infernal »
Tribunal judiciaire de Paris. (Photo : ©P. Cluzeau)

Dossier n°4. Il est 16h, l’avocate s’avance : « Mon client a dû quitter le tribunal. Des problèmes de santé, il a été opéré d’hémorroïdes récemment et … » La procureure confirme avoir vu le prévenu attendre sur un banc, au fond de la salle, depuis le début de l’audience à 13 h 30. Le président rassure tout le monde : Monsieur est excusé. Deux autres prévenus s’avancent.

Keita a 44 ans et un ensemble kaki. Mustafa a des baskets Nike grises, un jean gris, un sweat gris, la mine grise ; un casier judiciaire impressionnant, des dettes terrifiantes. Il approche des 71 ans et de sa voix lézardée, sur un ton dépité, explique au président qu’il est fatigué. Keita et lui sont renvoyés sur un strapontin pour écouter les faits qui leur sont reprochés : vol dans les transports.

La brigade des réseaux franciliens (BRF) remarque trois individus, le 1ᵉʳ septembre 2023 à 15 h 03, semblant d’intéresser à une usagère en gare de Montparnasse. Ils se positionnent autour d’elle, prennent la ligne 6 direction Nation, la suivent lorsqu’elle descend à Denfert-Rochereau, se collent à elle. La femme ne remarque pas la main  habile de Mustafa qui se glisse, agrippe un portefeuille et s’extirpe rapidement. Il le passe d’une main à l’autre, pose une veste sur son bras pour dissimuler l’objet. Keita récupère le bien et file vers un distributeur automatique de billet « La Poste ». Il constate l’inscription d’un code au dos de la carte bancaire et tape « 300 euros » sur le clavier. Le distributeur crache les billets.

Keita se retourne : un policier l’appréhende. Ses deux acolytes sont déjà menottés. Les fonctionnaires escortent les trois hommes vers la victime, qui confirme le vol de son portefeuille.

« D’habitude, je vole tout seul »

La première déclaration de Mustafa aux policiers est de dire que c’est la première fois « que je me fais interpeller en réunion : d’habitude, je vole tout seul ». Il explique qu’ils trainaient ensemble, que rien n’était planifié. Il reconnait les faits. Il dit aux policiers qu’il est très endetté et demande la clémence.

À l’audience du 2 avril 2025, le président demande à Mustafa s’il reconnait toujours les faits.

— Tout à fait.

— Quand même, 70 ans : qu’est-ce que vous faites là ?

— J’ai une famille à ma charge, j’ai trop de dettes.

— Vous avez sept enfants, je crois.

— J’ai les huissiers qui sont venus chez moi, j’en ai pour 35 000 euros de dettes.

— On peut comprendre que ce soit embêtant, mais vous venez voler d’honnêtes personnes dont vous ne connaissez pas la situation. Ce qui m’a interpellé, c’est que vous dites : d’habitude, je fais ça tout seul.

— …

— Là, vous risquez d’autres complications, surtout au vu du casier qui est le vôtre. »

Il se tourne vers Keita, qui répond immédiatement : « J’ai un enfant de deux ans.

— Sur les faits, Monsieur. Tout le monde a des enfants, mais ça ne justifie pas de voler.

— Je reconnais.

— Vous aviez convenu quoi : de partager cette somme ? 100 euros chacun, c’est ça ? Mais vous n’avez pas eu le temps de partager.

— Oui, c’est ça.

— C’est la première fois que vous commettez ce type de faits ?

— Oui.

— Ça a l’air bien rodé.

— …

— Vous comprenez ce que ça veut dire, rodé ? Ça veut dire qu’on dirait que vous avez l’habitude. »

Le troisième prévenu « reconnait sa participation en qualité de complice », précise son avocate.

« Je suis épuisé. Je demande pardon »

Mustafa revient à la barre pour entendre le président dire : « 21 mentions au casier, avec des identités très fluctuantes ». Il touche une retraite microscopique et vient de prendre un temps partiel de 7 heures par semaine dans la cantine d’un établissement scolaire. « Vous avez ouvert un dossier de surendettement ? Non ? Parce que là, vous allez avoir du mal à rembourser », calcule le juge. Sa femme ne travaille pas et il lui reste trois enfants à charge. Mustafa est asthmatique et souffre d’un cancer de la prostate en cours de traitement. « On va bientôt commencer les rayons », précise-t-il.

Les 21 condamnations sont essentiellement des vols. « Ça commence en 1983. Vous avez été incarcéré combien de fois dans votre vie, grosso modo ?

— 10 ou 12 fois.

— Est-ce qu’un jour ça va s’arrêter ?

— J’ai pas le choix de toute façon, je suis épuisé. Je demande pardon, je regrette ce que j’ai fait. »

La situation de Keita n’est pas brillante non plus : il est en situation irrégulière, travaille sans être déclaré dans le secteur du bâtiment, gagne moins de 1000 euros par mois. Il a un enfant en bas âge et un autre à naître, d’une nouvelle compagne. Son casier affiche 14 condamnations depuis 2003, dont plusieurs pour « soustraction à une mesure d’éloignement ».

« On voit ici une certaine misère sociale »

Prenant la mesure de la situation difficile à dramatique dans laquelle les deux prévenus se trouvent, la procureure admet que « ce sont des gens qui me font un peu de peine ». Elle souligne « que ce n’est pas si souvent que des voleurs d’habitude viennent admettre avec honnêteté à votre barre avoir commis les faits. La misère ne justifie certes rien ; et on voit ici une certaine misère sociale. » Elle demande une peine de prison ferme, « parce que vu le casier, je ne peux pas requérir autre chose », mais un aménagement ab initio. Dix mois de prison pour les trois. Puis, elle prévient : « Il y a un moment où c’est le toboggan infernal. Au moindre nouveau fait de vol dans le métro ou ailleurs, vous serez rattrapés par la patrouille. »

Les trois plaidoiries de la défense soulignent la précarité extrême de leur client, leur honnêteté et, pour se distinguer un peu du réquisitoire, proposent un travail d’intérêt général au lieu de cette peine de prison. Mais le tribunal décide de suivre la procureure à la lettre, et condamne les trois prévenus à la même peine de 10 mois de prison, aménagés ab initio sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique.

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