TJ de Créteil : « On va vous faire une cagnotte ! »

Messieurs M. et B. sont présentés en comparution immédiate pour du trafic de cannabis. Au total, près de 5 kg sont retrouvés et les réquisitions lourdes : cinq ans de prison ferme pour celui qui semble être un donneur d’ordre, deux ans pour son co-prévenu et colocataire.
« — Je travaillais, j’étais en CDI et j’ai eu un accident de travail. Je me suis fracturé l’épaule, je ne pouvais plus travailler, j’ai rempli tous les documents pour la Sécurité sociale mais je n’ai eu aucun versement et je me suis retrouvé à sec. C’est ça qui m’a fait rebasculer dans le trafic, j’ai emprunté le mauvais chemin.
— Ça vous a rapporté combien ?, interroge le président du tribunal.
— Rien… à part de la prison, répond du tac-au-tac Monsieur B., prévenu pour du trafic de cannabis (transport, détention, cession, acquisition).
— (Le juge s’énerve) Et là (il montre son front), c’est marqué « crétin » ? ! Vous tous, dans le box, vous nous dîtes ça. Combien de temps vous allez essayer de nous faire avaler des couleuvres ?
— Monsieur est philosophe, intervient l’avocate de la défense, tentant tant bien que mal de rectifier le tir. Financièrement, combien est-ce que ça vous a rapporté ?
— 2 000 euros par mois, finit par chiffrer le prévenu.
— Je multiplie par deux et je ne serai pas loin du compte, peste le président du tribunal.
— Avec l’essence et tous les frais, ça rapporte pas grand-chose, ose même Monsieur B.
— Et les impôts par-dessus, c’est ça ? Non mais c’est une blague ! On va vous faire une cagnotte », rétorque le président du tribunal, mi-ulcéré, mi-amusé par tant d’audace.
Ils sont en fait deux à se partager le banc des prévenus : le premier est Monsieur B., déjà condamné plusieurs fois pour du trafic de drogues (jusqu’à quatre ans de prison). C’est un appel anonyme qui l’a dénoncé à la police, affirmant qu’il avait repris du service. Les forces de l’ordre ont alors commencé à le surveiller pendant plusieurs jours et le suivent jusqu’à son domicile. Et c’est là qu’ils arrivent chez Monsieur M., colocataire et co-prévenu. Dans la chambre de Monsieur B., les policiers retrouvent 991 grammes de cannabis emballés ainsi que 1 470 euros en liquide en billets qui ont des contacts fréquents avec les stupéfiants. Des clés de Monsieur B. mènent à un autre logement situé à Vitry-sur-Seine où sont retrouvés plus de 4 000 euros en espèces et 4 kg de cannabis. Là-dessus, Monsieur B. assure qu’il ne faisait que cacher la drogue chez lui contre de l’argent.
Monsieur M. est prévenu pour le transport, l’acquisition et la détention de cannabis. Lui affirme qu’il ne savait rien des agissements de son colocataire. Une version qu’a du mal à croire le président du tribunal, à la lecture du procès-verbal de la perquisition. « Dans la cuisine, on retrouve une balance de précision et des sachets avec des traces de résine de cannabis. Vous ne faites jamais à manger ?
— La cuisine est grande. C’est une cuisine américaine. C’était peut-être dans un placard que je n’utilisais pas », tente Monsieur M.
Les magistrats s’étonnent de la naïveté affichée par le trentenaire. « Ça ne sentait pas ? », demande la procureure à plusieurs reprises. Lui se contente de répondre qu’il est fumeur et n’a rien remarqué. L’examen de personnalité de Monsieur M. laisse apparaître un trentenaire au RSA, qui vivote d’un travail dans la musique, qui a déjà été condamné neuf fois mais les derniers faits remontent à 2018. Et surtout, au moment de son interpellation, il était sous contrôle judiciaire pour une autre affaire.
« — C’est quoi ce contrôle judiciaire ?, interroge le président du tribunal.
— Je suis impliqué dans une histoire où je n’ai rien à voir.
— Ce sont quels faits ?
— Vol avec abus de confiance ».
Retour à Monsieur B. : il a été condamné dix fois depuis 2015 et notamment deux fois à une peine de quatre mois de prison. Le président du tribunal prend un ton solennel pour lui dire la gravité de le retrouver là : « Je ne sais pas ce qu’on va faire de vous. On vous a retiré votre bracelet en avril, il y a moins de six mois. À un moment, c’est trop. Et vous êtes à ce moment-là. On va parler de peine lourde, là ».
Dans ses réquisitions, la procureure ne manque pas non plus de rappeler les nombreuses récidives de Monsieur B. et demande une « peine dissuasive et qui protège les autres », en l’espèce cinq ans de prison, ainsi qu’une amende de 20 000 euros, une interdiction de séjour dans le Val-de-Marne, l’interdiction de port d’arme. Elle insiste sur le rôle de ce prévenu qui serait selon elle un donneur d’ordres – les policiers ont vu qu’il expliquait à un mineur non accompagné comment compter. Pour Monsieur M., elle demande 24 mois de prison dont 12 mois avec sursis et un aménagement ab initio de la peine ferme dans un centre de semi-liberté.
Place à l’avocate de la défense qui a eu le temps de préparer le dossier – les deux prévenus avaient demandé un délai pour préparer leur défense et se trouvaient en détention provisoire –, et ça se sent. Maître Sevim Kasay assure que le dossier ne comporte pas les éléments nécessaires pour dire que Monsieur B. serait le chef de quoi que ce soit – notamment que c’est lui qui achète le cannabis – et insiste sur la situation de précarité qui a mené son client à retourner au trafic. « Il avait son CDI et son bracelet qu’il a toujours respecté, insiste l’avocate. Puis son accident et les indemnités ne se mettent pas en place. On a quelqu’un qui est pris à la gorge. On lui propose de garder la drogue. Quand on n’a pas de solution et qu’on a connu le trafic, on retombe dans ses travers. Il aurait pu aller voir des associations mais ils n’y connaissent rien ces gens-là (elle montre les deux prévenus), ils passent leur temps à aller en prison ». Elle demande une peine mixte pour lui.
Quant à Monsieur M., elle n’a « pas compris ce qu’il fait là ». Il ne figure dans aucun des échanges surveillés par les policiers relatifs au trafic de drogues de Monsieur B. et il fait son entrée dans la procédure au moment de la perquisition du domicile qu’il partage avec son co-prévenu. En toute logique, elle plaide la relaxe.
Après deux autres affaires de trafic de stupéfiant (importation de cocaïne depuis la Martinique et vente de cannabis), le tribunal se retire pour délibérer. Verdict : Monsieur B. est condamné à trois ans de prison ferme et Monsieur M. à dix mois avec sursis probatoire. Leurs proches quittent la salle, l’air plutôt soulagés.
Référence : AJU015t2
