Surpopulation carcérale : « Les peines prononcées sont de plus en plus sévères »

Publié le 25/03/2025

Jamais les prisons françaises n’ont été aussi pleines. Avec plus de 81 000 détenus recensés début février, la France bat de nouveaux records, en particulier dans les maisons d’arrêts, où sont effectuées les courtes peines et les détentions provisoires. Lors de l’audience solennelle de rentrée, le président du tribunal judiciaire de Versailles, Bertrand Menay, appelait à une réponse du législateur. Il nous explique pourquoi.

Actu-Juridique : Le taux d’occupation de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy est d’environ 200 %. Quelle est votre réaction ?

Bertrand Menay : Le tribunal judiciaire de Versailles a une présence judiciaire très forte dans l’établissement de Bois-d’Arcy. Les chefs de juridiction ont une obligation de visiter les prisons et le font régulièrement, tout comme le bâtonnier de Versailles. Quatre des six juges d’application des peines s’occupent au quotidien de la gestion de l’établissement, en examinant les demandes d’aménagements et de réduction de peine ainsi que les conditions de sortie. Ils y sont à tour de rôle, une à deux fois par semaine. Le taux d’occupation de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy est extrêmement élevé et préoccupant. Malheureusement, beaucoup d’établissements franciliens sont dans cette situation. Le quartier maison d’arrêt est suroccupé, notamment par des détenus en attente de jugement. Cela a pour conséquence que des cellules sont triplées : on rajoute un troisième lit et parfois même un lit à terre. Pour les détenus, ces conditions sont extrêmement difficiles : ce taux d’occupation engorge l’accès aux sanitaires, rend les promenades plus denses, et ne permet pas à l’établissement de proposer des occupations et du travail pénitentiaire à tous. Cette situation rend également difficile le travail de l’administration pénitentiaire : la promiscuité crée des incidents et les agents sont plus sollicités.

AJ : Ce taux d’occupation était d’environ 150 % l’an dernier. Comment s’est-il envolé ?

Bertrand Menay : Il découle d’une augmentation de la durée des peines prononcées, que l’on observe au niveau national. On entend souvent dire que la justice n’est pas assez sévère : c’est faux et démenti par la réalité des peines prononcées. Ces peines, toujours un peu plus sévères, contribuent à accroître le nombre de détenus dans les maisons d’arrêts, dans lesquelles se trouvent les détenus provisoires dont l’affaire est à l’instruction, les détenus provisoires déclarés coupables une première fois et en attente d’un appel en correctionnelle ou devant une cour d’assises, ainsi que les condamnés à des courtes peines ou dont le reliquat de peine n’est pas suffisant pour les placer dans des centres de détention. Dans les centres de détention, où sont exécutées des peines moyennes comprises entre deux et cinq ans, et dans les maisons centrales réservées aux longues peines, la population est bien moindre et les encellulements sont individuels. Le problème de la surpopulation est spécifique aux maisons d’arrêt.

AJ : Comment expliquer que les peines prononcées sont plus sévères ?

Bertrand Menay : Il y a une demande de justice plus forte de la part de la société. Les juges, qui en font partie, n’y sont pas hermétiques et prononcent des peines plus sévères et plus longues. Il faut souligner également que depuis le développement des alternatives aux poursuites, les parquets et les tribunaux traitent en dehors de l’audience, dans le cadre de procédures simplifiées comme la reconnaissance préalable de culpabilité ou les ordonnances pénales, bon nombre d’infractions qui auparavant passaient en audience. Par conséquent, les juges ne voient, dans les audiences de comparutions immédiates ou correctionnelles, que les affaires les plus graves. Cela explique qu’ils prononcent des peines plus sévères. Il faut prendre en compte également l’émergence des violences intrafamiliales, qui étaient moins connues et traitées. Elles représentent 25 % d’activité supplémentaire dans les juridictions et donnent lieu pour une part à des emprisonnements. Malgré cette sévérité, il y a un mouvement d’aménagement des peines ab initio. Un tribunal qui prononce une peine d’une durée inférieure à un an doit l’aménager sauf s’il n’a pas les éléments qui lui permettent de le faire. On ne peut pas aménager une peine s’il y a une interdiction de territoire ou si, pour un bracelet électronique, le propriétaire du domicile s’oppose à l’installation du dispositif.

AJ : Avoir connaissance de ces taux de suroccupation impacte-t-il le travail des juges ?

Bertrand Menay : On entend parfois le terme de « régulation carcérale », au sujet des décisions prononcées par les magistrats. Mais celle-ci est très théorique et ne correspond pas à la mission d’individualisation de la peine donnée par la loi aux magistrats. Ces derniers, qu’il s’agisse des juges correctionnels, des juges de la liberté et de la détention ou des juges de l’application des peines sont dans des démarches individuelles. Le juge correctionnel est chargé de prononcer la peine la plus adaptée aux faits commis et à la personnalité du prévenu, le juge de l’application des peines a pour mission de vérifier que celui qui demande un aménagement présente toutes les garanties pour sortir de l’établissement, le juge des libertés et de la détention place en détention provisoire, si cela lui semble nécessaire pour éviter la réitération de l’infraction, une concertation ou une pression sur les témoins. Les mesures collectives ne peuvent être prises que par le pouvoir politique, exécutif ou législatif. La régulation de la population des prisons peut se faire par des décrets de grâce ou des lois d’amnistie ou des dispositifs légaux exceptionnels, pas par les décisions des magistrats.

AJ : Le garde des Sceaux incite néanmoins les magistrats à aménager les peines jusqu’à deux ans. Qu’en pensez-vous ?

Bertrand Menay : Les juges sont depuis des années soumis à des mouvements circulaires. Avant une loi du 23 mars 2019, toute peine dont il restait moins de deux ans à effectuer devait être examinée par un juge de l’application des peines pour envisager un aménagement de peine, si le détenu avait un hébergement, un projet de travail ou de formation. La loi de 2019, le bloc peine, a ramené le délai de reliquat à un an. La loi est donc moins favorable aux aménagements de peine depuis 2019. Aujourd’hui, il est question de revenir à la situation antérieure à 2019. On est d’une part dans un affichage de sévérité et de l’autre face à la nécessité de gérer une population pénale trop importante. Cela engendre des injonctions contradictoires. Un exemple : les réductions de peine ordinaires peuvent aller jusqu’à 3 mois par année d’emprisonnement prononcée. Avant, ces réductions de peines étaient automatiques, sauf si le condamné avait un mauvais comportement en prison. Depuis le 1er janvier 2023, les réductions de peine ne sont plus automatiques. Les juges de l’application des peines, qui dans un contexte de surpopulation carcérale ont énormément de travail du fait du nombre de condamnés à suivre, doivent se prononcer. Ils ont aujourd’hui une tâche compliquée, à la fois du point de vue du volume et du sens.

AJ : Vous appelez à des décisions du pouvoir exécutif. De quel ordre ?

Bertrand Menay : Auparavant, au mois de juillet, une grâce collective permettait de retirer jusqu’à 4 mois de peine à tous les détenus, exception faite de ceux condamnés pour des faits de terrorisme, de violence sur les dépositaires de l’autorité publique, par exemple. Cela permettait de vider les prisons de quelques milliers de personnes en quelques jours. Lors de l’épidémie de COVID, des réductions de peine exceptionnelles ont également permis de réguler la surpopulation carcérale. Le pouvoir exécutif ou législatif pourrait à nouveau décider de raboter de quelques mois les peines pour lesquelles l’infraction en jeu n’est pas trop grave. Cela pourrait être un mécanisme intéressant, mais il ne relève pas de la responsabilité du juge. C’est une démarche sociale. Seule la représentation nationale ou le pouvoir exécutif peut le faire.

Un groupe de magistrats, nommé par Didier Migaud au mois de novembre dernier, réfléchit actuellement sur l’exécution des peines et la surpopulation pénale. Des rapports vont être remis, qui feront des propositions en matière d’exécution des peines et d’aménagement. Le ministre actuel a parlé d’établissements différenciés : certains pourraient être réservés aux courtes peines, d’autres, plus sécurisés, aux enfermements classiques. Cela veut dire que nous devons inventer de nouveaux établissements qui seraient à mi-chemin entre la prison et le lieu d’hébergement collectif. Ce sont des pistes intéressantes, mais qui impliquent de disposer d’un immobilier pénitentiaire que nous n’avons pas à ce jour en France. Il faut repenser notre système de prison et peut être aussi, dans une démarche d’éducation, réfléchir au sens de la sanction. Notre société doit être capable d’entendre qu’une condamnation n’est pas nécessairement une peine de prison.

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