« On s’est fait avoir », déclare X. Nogueras au procès en appel du faux jugement produit aux assises
Au 4e jour du procès en appel dans l’affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras, ce-dernier explique qu’il avait été mis en marge de la défense de Robert Dawes dès 2017 quand celui-ci avait commencé à chercher un pénaliste plus aguerri pour le défendre aux assises.

Depuis lundi, la cour d’appel de Paris réexamine, millimètre par millimètre, le rôle qu’auraient pu jouer deux avocats de Robert Dawes, Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras, dans la transmission à la cour d’assises chargée de le juger, en décembre 2018, d’un faux jugement espagnol. En première instance, le tribunal les a relaxés au motif qu’il n’était pas démontré qu’ils aient su que le document était un faux. L’instruction l’avait elle-même reconnu, mais elle s’était engagée, comme le parquet, sur le terrain incertain du « vous auriez dû savoir ». Or, la seule obligation de l’avocat est de ne pas produire un document s’il sait qu’il est faux. Il n’a pas et ne peut pas avoir de rôle certificateur. Le ministère public ayant fait appel, voici que le sujet est de nouveau examiné à la loupe. Mercredi, Joseph Cohen-Sabban, pénaliste aguerri et respecté de 71 ans, a expliqué qu’il s’était fait « flouer » et que, bien entendu, il n’aurait jamais mis sa carrière, sa réputation et son cabinet en danger en commettant une faute pareille (notre compte-rendu ici).
Un dossier de rêve quand on a cinq de barre
Jeudi, c’était au tour de Xavier Nogueras, 44 ans, de s’expliquer. Ce 11e secrétaire de la Conférence a cinq ans de barre quand, de permanence mise en examen, il entre dans le dossier Dawes : un trafic de cocaïne de plus d’une tonne. Il découvre que la sonorisation de son client en Espagne sur laquelle repose toute l’accusation est, à son sens, illégale car aucun texte ne la permet et dépose un recours en janvier 2016. « J’étais jeune, j’y croyais, je ne savais pas encore que devant la chambre de l’instruction, on perd 9 dossiers sur 10 » confie-t-il à la barre. Et en effet, un an plus tard, la décision tombe : rejet.
L’avocat se plonge alors dans le fond du dossier et multiplie les demandes d’actes, tandis que son client se concentre sur le pourvoi qu’il a interjeté contre la décision de la CHINS. Le dossier contient 114 DVD relatifs à la procédure en Espagne. La justice française a refusé de les traduire, Robert Dawes aussi, il ne veut pas payer ça. Reste une solution, les adresser à son avocat espagnol, mais comment ? C’est trop volumineux pour une solution numérique. On va donc passer par le mandataire de Robert Dawes. « On est quasiment forclos, je ne sais plus trop quoi faire, je les remets à Evan Hugues qui pour moi est un coursier ». Une initiative qui vaudra à Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban la condamnation pour violation du secret professionnel prononcée en première instance. Une faute qu’ils ne contestent pas.
De Cannes-Torcy à…..
Mais à l’époque, le jeune pénaliste ne mesure pas l’erreur qu’il vient de commettre. Il faut dire que les beaux dossiers tombent et qu’il s’y investit avec passion. En avril 2017, le voici en défense aux côtés de ses camarades de la Conférence dans le procès terroriste de la filière Cannes-Torcy. « Il dure deux mois et demi, ça me fascine, c’est ce que j’aime faire » explique-t-il à la Cour. Pendant ce temps, Robert Dawes commence à vouloir constituer une équipe de défense pour les assises et cherche des avocats plus aguerris. Une liste de noms circule, parmi lesquels celui de Joseph Cohen-Sabban. On le choisira, car c’était le plus accessible, commente Xavier Nogueras. L’été arrive, ce-denier se reconnecte au dossier à l’occasion de la réception de l’ordonnance de mise en accusation, mais sent bien qu’on commence à le sortir doucement. Il ne s’en offense pas, raconte-t-il, c’était du lourd, 30 ans encourus, dans un domaine qu’il ne connaissait pas, il n’avait pas les épaules.
…Jawad Bendaoud
Au mois de janvier 2018, un nouveau dossier de terrorisme l’absorbe tout entier : l’affaire Jawad Bendaoud, le logeur des terroristes du 13 novembre. Cela aurait pu se dérouler sur trois demi-journées, raconte-t-il à la barre, mais la présidente écrit aux 400 victimes, et cela devient le pré-dossier du Bataclan. La défense se retrouve face aux journalistes et à 70 avocats de parties civiles. Le 14 février, le tribunal prononce la relaxe. Le jugement est frappé d’appel et audiencé au mois de novembre suivant. L’affaire Dawes est entre les mains de Joseph Cohen-Sabban, il n’y joue plus qu’un rôle très accessoire. En novembre, la stratégie de défense s’impose sur la provocation à l’infraction, Hugues Vigier, fraichement entré dans l’équipe et qui n’est pas mis en cause dans ce procès, est pressenti pour être le plaideur. « Ils m’ont gardé pour expliquer ce qui s’était passé à l’instruction, un autre que Joseph m’aurait dégagé » confie Xavier Nogueras. Il voit quand même Robert Dawes en prison deux fois en novembre, lequel lui annonce de nouveaux documents à venir, mais sans rien préciser, assure-t-il, et envoie quelques messages à ses confrères « par hygiène ».
« Je leur fais confiance, ce sont des ténors »
Quand la fameuse pièce miracle arrive, elle tombe dans la Dropbox qu’ils ont mise en place pour partager le dossier, mais Xavier Nogueras, absorbé ailleurs, n’ouvre pas les documents. Le 7 décembre, Hugues Vigier et Joseph Cohen-Sabban le sollicitent pour signer les conclusions liées à la nouvelle pièce. Xavier Nogueras quitte quelques minutes le procès Jawad Bendaoud pour les rejoindre à la brasserie des Deux palais. « Je leur fais confiance, ce sont des ténors, ils l’ont fait par confraternité, mais ils n’ont pas besoin de moi, ni de ma signature ». Les deux avocats vont ensuite informer le président de la cour d’assises et l’avocat général de l’arrivée de nouveaux documents. Bien que toujours mobilisé sur le dossier Bendaoud, Xavier Nogueras continue de s’interroger sur la provenance de l’ordonnance. Les échanges WhatsApp de l’équipe de défense témoignent que ça préoccupe les avocats. Ils vont multiplier les démarches, y compris dans les premiers jours du procès pour pouvoir justifier l’origine du document.
Un point qui intéresse particulièrement tant la cour que le parquet. « Est-ce que la question de l’authenticité des pièces et celle de l’origine ne sont pas intimement liées ? interroge la présidente.
— Ça vient d’Espagne, peu importe les canaux, et à l’époque, bien que je sois peu connecté au dossier, je ne m’interroge pas sur son authenticité, car on a rencontré des difficultés considérables dans ce dossier. J’avais de quoi être paranoïaque ». Autrement dit, l’hypothèse que des sonorisations aient été menées sans autorisation était plausible dans cette procédure que l’avocat depuis le départ estime bancale. En revanche, son échec devant la chambre de l’instruction lui a servi de leçon, il ne ressent qu’un espoir de succès mesuré.
« On s’est fait avoir »
La suite est connue, la pièce est communiquée à l’ouverture du procès le 10 décembre, avec des conclusions aux fins de nullité de la sonorisation, supplément d’information et remise en liberté de leur client. « Dans un dossier de cette ampleur, nous n’avions aucune chance d’obtenir la libération de Robert Dawes » souligne Xavier Nogueras. Le 14 décembre, la défense dépose de nouvelles conclusions pour écarter la sonorisation et obtenir le renvoi du procès le temps d’obtenir communication des décisions de sonorisation de la part des autorités espagnoles. Pendant ce temps, le parquet procède à la vérification de la pièce. Le 18 décembre, la réponse tombe, c’est un faux.
Dans cette histoire, Xavier Nogueras a été le « petit jeune » qu’on met à l’écart quand les choses sérieuses commencent. Il aurait dû partir, avoue-t-il, mais le dossier était trop beau, il a commis le « péché d’orgueil ». La procédure a laissé des marques indélébiles. Il raconte les deux perquisitions, à son domicile et à son cabinet, les douze heures d’interrogatoire, mais aussi « la violence judiciaire qu’on ressent dans sa chair » quand l’avocat soudain est traité comme un complice, un voyou, « je suis juriste et je me retrouve à raser les murs du tribunal ». L’angoisse de perdre sa robe est encore vive, explique-t-il, avant de conclure, « on s’est fait avoir ».
Référence : AJU497958
