Exposition « Serial Killers » : qu’en pensent les spécialistes ?

Publié le 07/03/2025
Exposition « Serial Killers » : qu’en pensent les spécialistes ?
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Depuis le 21 février, la Galerie Montparnasse, à Paris, dévoile une exposition itinérante sur les Serial Killers. Produite à l’internationale, présentée à grand renfort de publicité sur les réseaux sociaux, elle promet à ses visiteurs le grand frisson… mais tout cela n’est-il pas discutable ?

Charles Manson, John Wayne Gacy, Ted Bundy, Aileen Wuornos, Jeffrey Dahmer, Dennis Nilsen… des noms infâmes, de tueurs pervers et sadiques, dont les crimes font depuis quelques années des milliers de vues sur Netflix mais aussi des milliers de dollars en vente de livres, d’objets ayant appartenu aux tueurs comme aux victimes. Des « murderabilia » (contraction de murder et memorabilia), comme on appelle ces objets présentés comme des reliques par des collectionneurs et qui sont mis aux enchères comme des ex-folio, des autographes, des œuvres d’art. Il a fallu 10 ans aux producteurs italiens de l’exposition “Serial Killer”, qui a ouvert ses portes le 21 février dernier, à la Galerie Montparnasse, pour rassembler les quelque 1 000 objets présentés derrière des victimes et construire une déambulation pour le moins immersive permettant aux visiteurs de faire une plongée dans l’esprit des assassins, mais aussi de voir des reconstitutions des scènes de crimes “les plus notoires”, de répondre à des quiz pour connaître son propre quotient de psychopathie et de savoir si l’on est incollable sur les serial killers et autres true crimes. Amusant ou amoral ?

Giancarlo Guerra, directeur de la société Italmostre (qui propose l’exposition Serial Killers depuis 2015 ainsi qu’une exposition montrant de vrais corps humains mis en scène dans des activités du quotidien) a expliqué à la chaîne Euronews avoir passé beaucoup de temps à s’assurer que les choses avaient été maniées avec précaution. Quant au tropisme sur les tueurs, objectifiant de nouveau leurs victimes, il a souligné que la majorité des affaires présentées dataient de 40 ans ou plus et que les victimes et leurs familles tireraient elles aussi profit de l’exposition grâce à une œuvre de charité. Alors qu’une exposition sur les faits divers est présentée au MacVal et attire d’élogieuses critiques pour son traitement respectueux voire politique du fait divers, avec entre autres la présentation d’objets réels d’affaires très médiatisées, cette exposition prend le pied de la Netflixation du fait divers devenu du “true crime” déshumanisé par sensationnalisme… quitte à faire des spectateurs des êtres eux-mêmes dénués d’empathie ? Nous avons voulu demander à de grands spécialistes de la psychopathologie ce qu’ils en pensaient.

Des histoires vraies tournées au dérisoire ?

S’il est un spécialiste éloigné de toute fascination pour les tueurs en série, c’est bien Daniel Zagury, psychiatre, spécialiste en psychopathologie et expert près la cour d’appel de Paris. L’homme a rencontré le mal de près, travaillant sur les cas de Patrice Allègre, Michel Fourniret ou Guy George. Et pourtant, il ne supporte pas les films d’horreurs. Selon lui, ce type d’initiative est problématique. “Vu les annonces que j’ai vu sur internet, cela n’augure pas du meilleur. Je crois que la fascination pour ces tueurs en série est surtout une fascination pour ce que Hollywood en a fait. Je me suis intéressé aux tueurs en série d’un point de vue clinique. J’ai fait justement un travail de « dé-fascination ». En définitive, il faut se rappeler que même sans porter de jugement de valeur, ce sont de pauvres ères qui s’attribuent une toute-puissance alors qu’ils sont au bord du gouffre quand ils s’attaquent à des personnes sans défense. Pourtant, on en dresse un portrait incroyable, leurs crimes, des prouesses, ils deviennent des monstres dans le sens étymologique du terme”, nous explique-t-il. Selon lui, il faut comprendre cette exposition dans un contexte plus vaste, qui nourrit une appétence pour ce type d’expérience. “À partir de 22 heures, quand vous zappez, la moitié des chaînes vous balancent du true crime et c’est absolument épouvantable de médiocrité, tant du point de vue filmique que de l’appréhension de la psychopathologie. Ce qui est particulièrement obscène dans le true crime, à mon sens, c’est que ce sont de “true victims”, de “true families” et qu’on n’a pas le droit de traiter leurs histoires comme des contenus qui font frissonner. J’ai vu un reportage à la télévision qui fictionnalisait des histoires vraies, par exemple, on grimpe l’escalier qui monte vers le studio de Guy George avec la musique de Hitchcock. C’est insupportable ce mélange. Dans l’annonce de l’exposition, justement, il y a cette promesse faite aux visiteurs qu’ils ressentiront quelque chose, qu’il faudra débusquer le vrai du faux”.

Selon le spécialiste, le risque de ce type de manifestation est aussi de verser dans la complaisance envers ces criminels, leur cruauté sadique. “Je ne pense pas que ce soit mal de se sentir attiré par les faits divers. Des études ont montré que ces faits d’actualité sont attractifs car ils nous renvoient à des fondamentaux de l’humanité qui interroge, chacun d’entre nous, ces histoires de parricides, de matricides, de meurtres épouvantables, c’est de la tragédie grecque entre la poire et le fromage. Cela surgit et nous interroge sur les fondements mêmes de notre humanité psychique. Je viens de terminer un livre sur l’affaire Dupont de Ligonnès et je ne me suis pas appesanti sur les crimes, j’ai essayé de me mettre dans la tête de ce type. De même, j’ai participé à une série sur le Grêlé (Insoupçonnable, pour France Télévisions) pour la seule raison que c’était intelligent, pas racoleur, pudique et respectueux et que ça permettait de développer mes idées sur la question du traitement médiatique de ces histoires qui s’est souvent focalisé sur personnalités des assassins. Ce genre d’exposition ne joue pas sur les ressorts les plus honorables cette fascination des tueurs en série et cache à mon sens une identification à une force, à une puissance qui est complètement factice. Que l’on collectionne les lunettes d’Elvis Priesley, ok, mais celle d’un type qui a commis des abominations est immoral au sens le plus fort du terme”, ajoute-t-il. Selon lui, se cache derrière la motivation des spectateurs, une envie indirecte de se protéger qui peut avoir de graves conséquences, au niveau macroscopique. “Nous vivons une période extrêmement violente, avec une course à l’horreur et à la médiatisation de l’horreur incroyable. Ici on met en avant le fait que tout soit vrai, les objets authentiques. Les objets sont comme des trophées pour célébrer ces héros du négatif. Voir des contenus très violents à la télévision, la surenchère de la cruauté dans des expos ou des vidéos courtes, cela provoque à la longue des forces d’endurcissement et de déshumanisation : pour ne pas m’identifier à celui qui est découpé à la tronçonneuse, vaut-il mieux être celui qui torture ? Cela me fait penser aux vidéos de décapitations qui circulaient dans les téléphones des ados… la première fois qu’ils voient ça, ils sont d’abord horrifiés, puis finissent par trouver des justifications, cela les renforce dans une supra-humanité. C’est ce qui risque de nous arriver en regardant des True Crimes et en fréquentant ce type d’expos : de perdre une sensibilité commune et une compassion”. Un présage glaçant…

Une appétence pour l’horreur qui répond à un besoin universel

Selon Ariane Bazan, professeure de psychologie clinique et psychopathologie à l’Université de Lorraine, la recherche de contenus horrifiques labellisés “histoire vraie” répond un climat particulièrement anxiogène. « L’appétence des humains pour des divertissements de type « horreur » ou « catastrophe » peut être une forme de réponse à un imaginaire, souvent inconscient, qui inclut des scènes « horribles » ou « catastrophiques ». Non seulement beaucoup d’humains sont enclins à faire une forme d’ « auto-rabaissement », allant de l’autocritique au mépris de soi-même, par des pensées furtives et qui ne sont souvent pas très conscientes – et qui peuvent même prendre la forme d’auto-torture par des pensées dégradantes, écrasantes ou catastrophiques. Par ailleurs, les temps actuels sont lourds d’une multitude de menaces de potentiels dangers qui semblent assez imminents, que ce soit sous la forme de catastrophes climatiques et naturelles, de terrorisme ou de guerre. Par rapport à ces menaces vagues et lourdes à porter, une exposition présentant des scènes  » terrifiantes » permet une forme de traitement mental car elles permettent une sorte de décharge des tensions psychiques dans un cadre contrôlé. L’horreur mise en scène permet de s’imaginer l’horreur avec la garantie que nous sommes finalement assurément hors danger. Il y a, pendant un laps de temps, décharge de la tension psychique (de l’inquiétude, de l’angoisse) de façon totalement « sécure ». Il y a aussi la possibilité d’un exercice psychique plus concret qui serait la réponse à la question : ce qui est arrivé à mon congénère est tout simplement horrible, comment je ferais moi dans cette situation ? », nous explique-t-elle.

Au-delà de tester son sentiment de sécurité, pourquoi vouloir entrer dans l’esprit tourmenté des criminels ?  « Dans la sécurité donnée par la certitude que l’affaire est maîtrisée, l’occasion nous est donnée de rentrer dans le monde mental d’une figure qui a osé effectivement user de (grande) violence. Il faut alors supposer que ce fantasme transgressif de tuer (violemment) doit être plus généralement présent chez l’humain. C’est une hypothèse extrêmement tabou, mais il faut saisir que l’esprit humain n’est pas que rationnel, il fonctionne en parallèle sur un mode dit de processus primaire, souvent inconscient et selon des logiques enfantines et en même temps sur un mode dit de processus secondaire, qui est le mode rationnel, mesuré, réflexif et socialement adapté. Ce mode, quand il advient vers 6 ans, ne remplace pas le premier, mais se superpose simplement. Dans le monde de l’enfant l’autre qui nous ennuie, nous voulons parfois qu’il « crève ». C’est aussi un mode de pensée qui n’admet pas l’idée que la mort soit définitive ; elle reste réversible comme dans les dessins animés de Bip Bip et Vil Coyote. Il faut supposer que ces modes de pensée-là, restent généralement actifs chez tous en même temps que le mode de pensée rationnel et civilisé, qui le recouvre. Néanmoins, les aléas de la vie de chacun, mais aussi l’ambiance générale, peuvent nourrir les pensées du mode primaire enfantin selon les individus et les expositions de True Crime présentant des figures monstrueuses peuvent donner un exutoire à cette pensée enfantine, même sans que l’on prenne vraiment conscience de son existence”.

Selon la psychanalyste, cette exposition répond à un besoin, une appétence et serait aussi l’occasion de replacer la victime au cœur du débat et panser des plaies. “La place pour le récit des victimes est importante pour les victimes, leurs familles et entourages, leurs descendants (très important pour les descendants par rapport au trauma intergénérationnel), mais aussi important pour le public”.

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