Affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras : « La justice est un rouleau compresseur terrible »
La cour a entendu, lundi 7 avril, Me Hugues Vigier, le troisième avocat du dossier, qui n’a pas été mis en examen. Il a assuré qu’il n’avait jamais douté de l’authenticité des pièces versées à la procédure. Son témoignage a été l’occasion de montrer aux magistrats le quotidien des pénalistes.

Il est le dernier à être entré dans le dossier, un mois avant le procès aux assises de Robert Dawes en décembre 2018. C’est sans doute pour cela qu’il a été finalement mis hors de cause. Pourtant, Me Hugues Vigier, 59 ans, veste beige, jean noir, boots marron, est aussi celui qui a cru le plus dans les chances de succès de la production de l’ordonnance du juge espagnol qui se révélera être un faux ; et c’est lui qui a rédigé les deux jeux de conclusions fondés sur cette pièce.
« Je considère que Dawes doit être acquitté »
Tout commence dans la semaine du 17 novembre 2018. Hugues Vigier est sollicité par Robert Dawes. Il lui rend visite à Fresnes. L’homme lui explique qu’il a l’impression que ses avocats n’ont pas assez préparé son procès et qu’il voudrait qu’il entre dans l’équipe de défense. Hugues Vigier le prévient qu’il a plusieurs dossiers aux assises et ne pourra donc pas lui consacrer beaucoup de temps. Qu’importe, il est engagé. À la sortie du rendez-vous, il réclame l’ordonnance de mise en accusation et commence à élaborer une défense. En revanche, il n’ouvrira jamais la Dropbox sur laquelle la fille de Robert Dawes lui a envoyé des documents, car il n’aime pas la technologie. Un expert confirmera ce point. La fameuse ordonnance d’un juge espagnol mettant fin aux sonorisations sur lesquelles repose entièrement l’accusation contre Robert Dawes arrive on ne sait trop comment dans la Dropbox. Joseph Cohen-Sabban l’a fait traduire par une stagiaire hispanophone. « Avec ou sans cette pièce, je considère que Dawes doit être acquitté » explique Hugues Vigier à la barre. On comprend de son récit que si la conversation « surréaliste » enregistrée par les enquêteurs espagnols n’a pas donné lieu à une condamnation en Espagne alors qu’elle est particulièrement incriminante, c’est qu’il y a un sérieux problème et qu’elle ne peut servir de soutien à la procédure française. Le dossier apparait incomplet, ce que confirme d’ailleurs, pendant l’audition, l’avocat général Christophe Auger. L’équipe de défense évoque le sujet le jeudi 6 décembre, lors d’un dîner dans un restaurant de la Porte Maillot où Hugues Vigier retrouve Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras. Il est décidé de communiquer les pièces.
« Nous avons l’obligation de produire ces pièces »
Le lendemain, Hugues Vigier, qui se décrit à la barre comme particulièrement attentif au contradictoire, souhaite informer le président de l’existence de ces documents avant le début du procès qui doit s’ouvrir le lundi suivant. Il demande que l’avocat général les rejoigne, lui et Joseph Cohen-Sabban. Xavier Nogueras n’assiste pas au rendez-vous, il défend au même moment Jawad Bendaoud, le logueur des terroristes du 13 novembre. « On donne les pièces en expliquant qu’on attend une traduction assermentée, je préviens que je vais déposer des conclusions de nullité, mais pas avant le dimanche soir, car je dois encore voir Robert Dawes puis repartir à Rouen (NDLR : où il habite et exerce à l’époque) ». Hugues Vigier n’est pas dupe. Il sait, explique-t-il à la barre qu’on va leur opposer la purge des nullités de l’article 175. Mais précisément, il trouve cette jurisprudence très contestable. « Et donc je considère que nous avons l’obligation de produire ces pièces, parce que si la chambre criminelle change de jurisprudence deux mois après et qu’on fait appel, on pourra soulever l’argument ». Les conclusions contiennent une demande de nullité, et une demande de supplément d’information pour obtenir l’entier dossier espagnol. Il fait aussi une demande de remise en liberté, par souci de cohérence, précise-t-il tout en ayant la certitude qu’elle ne débouchera sur rien.
Une source incertaine
Le point délicat, c’est l’origine du document. Depuis le début du procès, la cour et le parquet reviennent inlassablement sur ce sujet. Pour eux, en effet, douter de l’origine, c’est forcément douter aussi de l’authenticité. Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras ont expliqué que s’ils s’interrogeaient sur la provenance, ils n’avaient en revanche jamais douté de l’authenticité d’un document qui avait toutes les allures d’un vrai jugement espagnol. Hugues Vigier explique quant à lui qu’il ne s’en préoccupe pas à l’époque. On finit par découvrir que le document ne viendrait pas de l’avocat espagnol de Robert Dawes – qui assure n’avoir pas eu accès à la procédure en raison du fait qu’elle s’est achevée par un non-lieu – , mais du consiel hollandais qui s’est occupé de sa procédure d’extradition.
« Je comprends qu’on a produit un faux et que Robert Dawes ne sera pas acquitté »
Le vendredi suivant, Hugues Vigier est seul à l’audience, Xavier Nogueras plaide un autre dossier, Joseph Cohen-Sabban est descendu dans le sud. Il rédige un nouveau jeu de conclusions dans lequel il demande d’écarter la sonorisation litigieuse et de rechercher les ordonnances espagnoles postérieures à celle produite pour déterminer si le juge n’aurait pas de nouveau autorisé des sonorisations. « C’est dans ce cadre qu’on reçoit la pièce le mardi matin, je comprends alors qu’on a produit un faux, que M. Dawes ne va pas être acquitté contrairement à ce que je croyais, et que la défense devient impossible ». Des vérifications ultérieures révèleront que deux autres documents étaient falsifiés. Hugues Vigier écrit le jour même à son bâtonnier, car il s’attend à une perquisition. Non pas contre les avocats, précise-t-il, mais pour rechercher l’émetteur des messages contenant les faux.
« On sait que vous n’avez pas triché… »
Hélas pour les avocats dans ce dossier, les perquisitions vont les concerner eux, car à l’époque, la justice se met en tête qu’ils ont peut-être fabriqué le faux. Hypothèse balayée par l’instruction, qui ne trouvera pas non plus d’éléments prouvant qu’ils savaient qu’ils produisaient un faux. L’accusation repose toute entière sur l’idée qu’ils auraient dû savoir. Son épouse, qui est magistrate, lui conseille de prendre un avocat. Lequel indique à Me Vigier qu’il risque d’être mis en examen pour une faute déontologique qui a consisté à avoir accepté d’entrer trop tard dans le dossier et s’être ainsi placé dans l’impossibilité de détecter le faux. Lorsque la juge d’instruction le reçoit, elle l’appelle « Monsieur », se souvient-il. « Habituellement, je ne m’en offusque pas, mais là, je voudrais être appelé Maitre car c’est en qualité d’avocat que j’ai commis une faute. La magistrate me dit qu’elle envisage de me mettre en examen pour complicité de tentative d’escroquerie au jugement », même si elle sait qu’il n’a pas triché, précise-t-elle. Hugues Vigier fait acter le propos. La justice craint sans doute alors que les avocats déjà mis en examen, Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras, se défaussent sur les absents. La suite de la procédure montrera que non. Depuis la première instance, et malgré l’importance des enjeux, les avocats, mis en cause ou pas, sont restés soudés.
« Papa, tu vas aller en prison ? »
Hugues Vigier n’admet qu’on lui reproche d’être arrivé tard dans le dossier et il s’en explique à la barre. « La dernière fois que je suis intervenu tardivement, c’était à la demande d’une présidente d’assises, l’accusé avait donné un coup à son avocat qui avait renoncé à le défendre. Mon bâtonnier me téléphone, je demande la copie du dossier, je rencontre le client et j’indique qu’on pourra débuter l’audience à 17 heures ». Hugues Vigier en tire cette conclusion sans appel : « on ne peut pas commettre un avocat au dernier moment et me dire dans ce dossier que je suis intervenu trop tard ». Comme Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras avant lui, il raconte le choc lorsque la justice a déboulé dans sa vie. « J’ai voulu arrêter le métier, c’était d’une violence inouïe ». Le matin de la perquisition, sa fille est partie le cœur lourd passer une épreuve du concours de Normale Sup, après lui avait demandé, la peur au ventre : « Papa, tu ne vas pas aller en prison ?» « La justice est un rouleau compresseur terrible » conclut-il.
L’avocat général ne se laisse pas émouvoir et suit son idée. « Vous êtes entré dans le dossier le 12 novembre, un mois avant le procès, moi aussi, j’y ai passé un mois, mais je n’ai fait que ça….
— Dans un dossier criminel, on doit pouvoir se faire une opinion en une heure. Notre travail n’a rien à voir avec celui des magistrats. Nous sommes dans une démarche de déconstruction, je pense qu’avec deux jours de travail, j’avais les moyens de le défendre.
— N’avez-vous pas eu un doute sur la production de ces pièces un mois avant le procès dans un dossier qui dure depuis cinq ans ? rebondit l’avocat général. Est-ce que dans la tête d’un avocat expérimenté ça ne doit pas faire tilt ?
— Ce n’est pas souhaitable, mais parfois les gens se réveillent au dernier moment quand ils se rendent compte du risque encouru. Aujourd’hui, je me dis que j’ai été naïf. On travaille souvent de manière très artisanale, on court tout le temps, on peut être emporté par une pièce qui correspond à l’idée qu’on se fait du dossier ».
C’est l’une des choses qui frappent dans cette affaire. Elle met en lumière une certaine méconnaissance de la réalité du métier d’avocat par les magistrats. Un terreau sur lequel pousse parfois la fleur empoisonnée du soupçon.
Me Marie Violleau : « Intégrer le 26 avenue Kléber, c’est apprendre à défendre »
Me Marie Violleau a d’abord été stagiaire chez Xavier Nogueras, puis chez Joseph Cohen-Sabban où elle est devenue collaboratrice. Elle se présente à la barre, ce lundi, à la suite d’Hugues Vigier, pour raconter qui sont ces deux avocats. De Xavier Nogueras, elle dit : « Il m’a fait découvrir le métier, il est extraordinaire, extrêmement généreux, il m’a appris le respect de la magistrature, son père était juge d’instruction. Quand il parle à un magistrat, c’est comme s’il parlait à son père. Il est rassurant, passionné par son métier. Penser qu’il ait pu vouloir tromper une juridiction est absurde.
Mais c’est sur Joseph Cohen-Sabban qu’elle est la plus prolixe. « Quand j’ai intégré son cabinet, je savais que j’arrivais dans une espèce d’école, c’est le pénaliste que tout le monde respectait, il vous prend sous son aile, il ne vous lâche pas, raconte-t-elle. Intégrer le 26 avenue Kléber, c’est apprendre à défendre. Joseph, c’était un seigneur ; aujourd’hui, parfois il est un peu affaibli, avant ce ne serait jamais arrivé ». Plusieurs années ont passé, mais elle se souvient encore de la violence de la perquisition, des policiers armés dans le cabinet d’un avocat qui s’est toujours comporté en juge de paix. Et puis du lendemain, quand il faut continuer à faire bonne figure pour les clients, à bomber le torse devant les juridictions comme si de rien n’était, en espérant que le cabinet tienne le choc. « On m’a conseillé de m’en aller, et aujourd’hui je suis tellement fière de ne pas l’avoir fait » conclut-elle.
Un témoignage qui reflète parfaitement la réputation de ces deux avocats parmi leurs confrères. S’il y a des voyoux dans cette profession, comme dans n’importe quelle autre, ce ne sont pas ces hommes-là.
Référence : AJU498032
