Face à la violence de la justice, l’avocat ne doit jamais se résigner

Publié le 18/03/2025 à 11h52

Aller en justice, c’est espérer résoudre ses difficultés. Mais il arrive que cela soit souvent une source supplémentaire de violence, à cause d’un système judiciaire à bout de souffle. Me Michèle Bauer dénonce cette situation et s’interroge : comment réagir ? 

Face à la violence de la justice, l’avocat ne doit jamais se résigner
Photo : @AdobeStock/Dom

La justice est parfois violente, elle l’est de plus en plus, que ce soit en matière familiale, prud’homale ou pénale.

La justice n’a plus le temps, elle doit déstocker, le plus rapidement possible, au détriment de l’écoute et, de plus souvent en plus souvent, du respect des justiciables et de leurs avocats.

Combien de fois, alors que le premier dossier devant le juge aux affaires familiales est fixé à 9 heures, le juge est dans son bureau avec son greffier, la lumière est allumée, mais  la porte ne s’ouvre qu’à 9 h 30 avec un appel du premier dossier ?

Aucune excuse de la part du juge, une telle pratique est considérée comme normale.

En revanche, si les avocats ou leurs clients ont le malheur d’arriver un peu en retard alors que c’est le dernier dossier avant la pause déjeuner, le juge aux affaires familiales n’hésitera pas à renvoyer au terme des deux minutes de patience « réglementaires », en pestant contre ces avocats «  si mal élevés ! »

Après avoir parfois attendu longtemps, trop longtemps avec notre client, stressé, qui nous parle en boucle de sa rupture difficile tout en fixant son ex-compagne qui a eu la bonne idée de venir avec son nouveau compagnon, nous rentrons enfin dans le saint des saints, le bureau du juge.

« J’aurais dû conclure la nuit, c’est ça ? »

Parfois, un renvoi est sollicité car l’adversaire a adressé, la veille à 22 h 53, de nombreuses pièces et conclusions qui ne peuvent pas rester sans réponse.

Il est souvent accordé, sans difficultés, au nom du principe du contradictoire.

Au grand dam de certains juges qui n’apprécient pas que le dossier soit reporté et qu’il reste dans les stocks à cause des avocats. C’est alors le retour en enfance, le juge gronde l’avocat. « Pourquoi ne pas avoir répondu pour être en état ? C’est le seul et l’unique renvoi Maître, on ne peut plus travailler comme ça, vous comprenez ? »

L’avocat baisse la tête, laisse passer la tempête et attend la date tout en pensant très fort :  » j’aurais dû conclure la nuit, c’est ça ? »

Quand le dossier est retenu, il est examiné, très vite. Le juge s’empresse d’en faire le résumé puis d’accorder un court temps de parole au demandeur et au défendeur.

« Madame, c’est dix minutes par dossier, alors synthétisez ! »

Certains écoutent, d’autres font semblant. Il y a ceux qui prennent des notes sur leur ordinateur (ou rédigent déjà leur jugement ? On ne sait pas), et puis ceux qui remplissent à la main, à l’ancienne, un tableau à deux colonnes : pour et contre. Parfois, on demande aux avocats d’abréger alors qu’ils viennent juste de commencer à plaider. Ils doivent alors se battre pour expliquer que le dossier est complexe et qu’il ne se prête pas à une plaidoirie de 10 minutes, car différentes procédures sont en cours : ordonnance de protection, juge des enfants, tribunal correctionnel, comment résumer cela en si peu de temps ?

Certains juges posent des questions aux clients, et s’intéressent, ce qui est appréciable, jusqu’à ce que le justiciable parle trop à leur goût. On entend alors :  « Madame (ou Monsieur), c’est 10 minutes par dossier, pas plus, alors synthétisez s’il vous plaît ! » ou encore, devant les prud’hommes, après les plaidoiries,  le fameux « Votre avocat l’a déjà dit, on l’a entendu, c’est bon, on examinera toutes les pièces de votre dossier ».

L’audience est si rapide, parfois si expéditive, que les justiciables sont bouleversés.

Des justiciables en larmes

Combien de clients doit-on rassurer, et même consoler car ils ont les larmes aux yeux ? Ils ont l’impression que le juge ne les a pas écoutés, qu’il était partial.

On les comprend. Ils ont souvent attendu leur audience plusieurs mois.

Devant le juge aux affaires familiales, pour obtenir une date pour assigner en divorce, il faut compter de 6 à 8 mois à Bordeaux ; pour des requêtes simples cela peut aller jusqu’à 10 mois. Les assignations à bref délais (c’est-à-dire les audiences rapides dans le mois qui suit la demande) sont rarement accordées, l’urgence étant peu souvent caractérisée, les pressions psychologiques ou la dégradation des relations entre les parents ne constituent pas une urgence.

L’appréciation du juge est souveraine, ce dernier doit sans doute classer et rejeter les dossiers selon les degrés d’urgence et faire selon le nombre de dates et de créneaux disponibles.

Devant le conseil de prud’hommes, il ne faut pas être cadre, car l’attente est longue pour obtenir la date de conciliation, souvent cette dernière a lieu entre 5 et 6 mois après le dépôt de la requête.

Une fois que l’affaire est plaidée, les clients ne sont pas au bout de leur peine, hélas.

Le juge aux affaires familiales ou le Conseil de Prud’hommes annonce un délibéré, immédiatement le justiciable note la date qu’il attend ensuite avec impatience. Le jour J, et après avoir reçu sa notification, le client appelle tout naturellement son avocat pour connaître la teneur de la décision.

Combien de fois doit-on répondre qu’en fait, elle n’est pas rendue ?

Devant le conseil de prud’hommes, le client peut rappeler parfois 5 ou 6 fois, car c’est presque une coutume de proroger à plusieurs reprises sans même préciser pourquoi.

Un malheureux justiciable dans le Sud-Ouest, l’a dénoncé, en vain.

« Le juge n’en avait rien à faire de mon dossier »

Les prorogés sont si habituels que certains avocats ne notent même plus la date initiale de délibéré annoncée.

Lorsque le jugement est enfin communiqué aux clients, combien de fois, particulièrement devant le juge aux affaires familiales, une rectification en erreur matérielle est-elle nécessaire ? Par exemple, un copié-collé mal fait et voici que le nom du justiciable n’est pas le bon.  « Cela prouve que le juge n’en avait rien à faire de mon dossier » conclut celui-ci.

Les avocats finissent par s’habituer à cette nonchalance institutionnelle et à la violence qu’elle engendre parce que c’est comme ça, on n’y peut rien, ça ne sert à rien de dénoncer, c’est de la faute au manque de moyens.

Les justiciables, en revanche, pour qui c’est presque toujours le seul procès de leur vie, ne s’habituent pas. Ils sont souvent consternés par la manière dont la justice les a traités, ou plutôt maltraités.

Doit-on renoncer ?

Je ne le pense pas, il faut continuer à dénoncer, batailler pour quelques minutes de plaidoirie en plus, résister et toujours diligenter des actions en dysfonctionnements de la justice pour faire condamner l’État, car être avocat, c’est ne pas se résigner.

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