Auto-entreprise : coup de frein pour la réforme de la franchise en base de TVA

Le gouvernement suspend la réforme de la franchise en base de TVA dans l’attente de l’examen du prochain budget, un soulagement pour de nombreux auto-entrepreneurs et pour les professionnels concernés.
La réforme de la franchise en base de TVA, prévue dans la loi de finances pour 2025, a suscité de nombreuses inquiétudes, en particulier chez les auto-entrepreneurs. Pour y répondre, le gouvernement a pris la décision de suspendre la mise en œuvre de la réforme jusqu’à la fin de l’année 2025, afin de permettre un débat apaisé et approfondi dans le cadre de l’élaboration du projet de loi de finances pour 2026.
Une réforme de la franchise en base de la TVA
La loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 a réformé le régime de franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en France en créant un plafond unique à 25 000 euros de chiffre d’affaires et 27 500 € pour le seuil majoré. Ces nouveaux plafonds devaient s’appliquer à l’ensemble des secteurs d’activité (ventes, prestations de services, etc.) et ce, dès le 1er mars 2025. La franchise en base de TVA est un dispositif qui, toutes conditions remplies, dispense les entreprises de la déclaration et du paiement de la TVA sur les prestations ou ventes qu’elles réalisent. La franchise en base de TVA est destinée à alléger les obligations fiscales des petites entreprises. Ce dispositif fiscal régi par les articles 293-0 B à 293 F du Code général des impôts permet aux petites entreprises, quels que soient leur régime d’imposition et leur forme juridique, d’être exonérées du paiement de la TVA, à la condition que leur chiffre d’affaires annuel national ne dépasse pas des seuils fixés par Bercy. Les entreprises concernées ne sont pas redevables de la TVA et n’ont pas de déclaration de TVA à faire. En contrepartie, elles ne peuvent pas déduire la TVA qu’elles ont acquittée sur les achats réalisés pour les besoins de leur activité.
400 millions de nouvelles recettes fiscales attendues
Ce régime favorable, destiné à alléger la charge fiscale et administrative pour les entreprises, bénéficie à environ 2,1 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou microentreprises. Dans le cadre de l’examen budgétaire pour 2025, le gouvernement de Michel Barnier a introduit, par amendement, une réforme d’ampleur des seuils d’application de la franchise en base, visant à instituer un seuil unique de chiffre d’affaires annuel fixé à 25 000 euros. Conservée par le gouvernement de François Bayrou, cette mesure a finalement été adoptée à l’article 32 de la loi de finances initiale pour 2025 (LFI 2025). L’institution d’un seuil unique de chiffre d’affaires annuel, abaissé à 25 000 euros, priverait environ 200 000 entreprises du bénéfice de la franchise en base de TVA, sur un total de 2,1 millions d’entreprises actuellement éligibles à ce régime, soit 10 % des entreprises concernées. Selon l’administration fiscale, le rendement budgétaire total associé à cette réforme, en termes de recettes de TVA supplémentaires, s’élèverait à 780 millions d’euros en année pleine, toutes administrations publiques confondues. Pour le budget de l’État, cette mesure représenterait ainsi un rendement d’environ 400 millions d’euros.
Une succession de réforme
Afin d’harmoniser les règles applicables au sein de l’Union européenne, la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 avait déjà procédé à une refonte du régime de la franchise en base. Cette réforme a eu pour objectif de transposer en droit interne la directive UE/2020/285 du 18 février 2020, dont l’objet est d’harmoniser au sein de l’UE les règles applicables aux petites entreprises à compter de 2025. Le décret n° 2024-1195 du 21 décembre 2024 a donc défini de nouvelles règles pour le régime de franchise en base de TVA, tout en alignant ces dispositions sur la réglementation européenne. Ces nouveaux seuils de franchise en base applicables au 1er janvier 2025 sont fixés à :
- 85 000 € au lieu de 91 900 € pour les entreprises réalisant des activités de négoce ou des prestations d’hébergement ;
- 37 500 € au lieu de 36 800 € pour les entreprises réalisant des prestations de services autres que les ventes à consommer sur place et les prestations d’hébergement ;
- 50 000 € au lieu de 47 500 € pour les activités spécifiques des avocats, auteurs et artistes-interprètes ;
- 35 000 € au lieu de 19 600 € pour les autres activités des avocats, auteurs et artistes-interprètes.
Les règles de franchissement de seuil ont également été réformées
Si ces seuils sont dépassés, la franchise en base continuera à s’appliquer l’année du dépassement à condition toutefois de ne pas dépasser certains seuils majorés.
Ces seuils majorés ont, quant à eux, été fixés à :
- 93 500 € au lieu de 101 000 € pour les entreprises réalisant des activités de négoce ou des prestations d’hébergement ;
- 41 250 € au lieu de 39 100 € pour les entreprises réalisant des prestations de services autres que les ventes à consommer sur place et les prestations d’hébergement ;
- 55 000 € au lieu de 58 600 € pour les activités spécifiques des avocats, auteurs et artistes-interprètes ;
- 38 500 € au lieu de 23 700 € pour les autres activités des avocats, auteurs et artistes-interprètes.
Les règles de dépassement de seuils ont également été réformées. Ainsi le dépassement du seuil majoré entraîne désormais l’assujettissement à la TVA dès la date de dépassement. Les assujettis concernés deviennent redevables de la TVA pour les opérations effectuées à compter de la date du dépassement. De même, le dépassement du seuil de base entraîne l’assujettissement à la TVA à compter du 1er janvier de l’année suivante. Le mécanisme de maintien de la franchise l’année suivant celle du dépassement, au titre des deux premières années de franchissement de la limite ordinaire, à condition que le chiffre d’affaires n’excède pas la limite majorée, a été supprimé. En outre, le mécanisme d’actualisation triennale des seuils de la franchise a également été supprimé et les seuils fixés sont donc fixes.
Une réforme très critiquée
Toutefois, cette réforme a suscité des inquiétudes exprimées par différents acteurs économiques et des parlementaires. L’UNAPL, l’organisation professionnelle représentant les professions libérales, a appelé à un moratoire et une concertation d’urgence. L’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) a, quant à elle, regretté « une mesure désastreuse pour les microentrepreneurs et la dynamique entrepreneuriale en France ». Quelques heures après l’adoption de la nouvelle loi de finances, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Éric Lombard a annoncé la suspension de cette réforme le temps d’une phase de concertation. Celle-ci a été organisée sous l’égide de la ministre déléguée chargée du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises et de l’Économie sociale et solidaire, Véronique Louwagie, entre le 7 février et le 28 février.
Une suspension de la réforme jusqu’au 1er juin 2025
Pour tenir compte de la diversité des positions exprimées lors de cette consultation, le gouvernement a suspendu la mise en œuvre de la réforme jusqu’au 1er juin 2025 et annoncé travailler avec les acteurs et les parlementaires à des réponses adaptées aux préoccupations exprimées lors de cette concertation. La commission des finances du Sénat a lancé le 19 mars dernier, sous l’impulsion de son président, Claude Raynal, un cycle d’auditions « flash » en vue de faire la lumière sur les enjeux économiques, juridiques et budgétaires de la réforme de la franchise en base de TVA prévue par la loi de finances initiale pour 2025. Ce cycle d’auditions conduites par le rapporteur général, Jean-François Husson, et ouvertes aux sénateurs membres de la commission, faisait suite au dépôt, sur le site du Sénat, d’une pétition initiée par le président de la Fédération nationale des auto-entrepreneurs (FNAE), demandant l’abrogation de la réforme.
Une réforme insuffisamment préparée ?
Pour le gouvernement cette réforme doit permettre de réduire les distorsions de concurrence entre professionnels qui exercent en franchise de TVA et ceux qui y sont soumis pour une même prestation de services ou de travaux. Pour une entreprise bénéficiaire de ce régime, la franchise en base de TVA se traduit en effet par une diminution de la charge de TVA égale au taux moyen de TVA nette supportée par l’entreprise. Bercy précise par ailleurs qu’une telle réforme est rendue indispensable en raison d’une évolution importante des règles européennes en matière de TVA qui s’applique depuis le 1er janvier 2025, compte tenu du niveau élevé des seuils français de franchise en base de TVA comparé à ceux pratiqués par les autres États membres de l’Union européenne (UE). À la suite de la transposition de la directive du 18 février 2020, depuis le 1er janvier 2025, une entreprise franchisée dans un autre État membre de l’UE dispose de la faculté de bénéficier de la franchise pour ses opérations effectuées dans d’autres États membres, dans la limite d’un plafond européen de 100 000 euros. Des arguments qui ont peu convaincu les sénateurs. Pour ces derniers « si la franchise en base de TVA constitue un avantage fiscal objectif, celui-ci bénéficie aussi bien aux micro-entreprises (auto-entrepreneurs) qu’aux très petites entreprises : or, pour de nombreux acteurs, il existe une confusion entre le sujet de la franchise en base et celui de la concurrence qu’offre, indépendamment de la TVA, le modèle de la micro-entreprise par rapport à l’artisan salarié ou indépendant (démarches administratives et comptables simplifiées, charges sociales allégées, etc.) ». Les sénateurs soulignent que « les risques allégués demeurent largement théoriques, s’agissant de petites entreprises dont l’activité hors de leur pays d’origine est par nature faible ».
De nombreux secteurs d’activité affectés
Le seuil unique de chiffre d’affaires fixé à 25 000 euros, représente un abaissement substantiel des seuils existants, poursuivent les sénateurs. Ainsi, le seuil de droit commun applicable au commerce de biens, aux travaux immobiliers et aux secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, antérieurement fixé à 85 000 euros, est quasiment divisé par quatre. De même, le seuil de droit commun applicable aux autres prestations de services, précédemment fixé à 37 500 euros, est réduit d’un tiers. Enfin, les deux seuils spécifiques applicables aux activités des avocats, auteurs et artistes-interprètes, dont le cumul s’élevait à 85 000 euros, sont également supprimés. « Dans la mesure où le dispositif de la franchise en base de TVA s’applique à l’ensemble des activités, quelle que soit leur forme juridique ou leur régime fiscal ou social, l’abaissement des seuils de chiffre d’affaires à 25 000 euros affecterait aussi bien des microentreprises (auto-entrepreneurs) que des très petites entreprises », souligne le Sénat. Selon les données de l’administration fiscale, sur un total de 206 000 entreprises concernées, 135 000 seraient des micro-entreprises, quand 71 000 ne relèveraient pas de ce statut.
Suspension de la réforme jusqu’à la fin de l’année 2025
Le Sénat souligne la « multiplicité de secteurs d’activité affectés, du bâtiment aux services à la personne, en passant par les avocats et les kinésithérapeutes. Si la réforme de la franchise en base de TVA affecte principalement le secteur de la construction (plus de 53 000 entreprises), elle présente également un impact substantiel pour le commerce et la réparation d’automobiles et de motocycles (près de 32 000 entreprises) ainsi que pour les services à la personne (environ 25 000 entreprises). Par ailleurs, la révision des seuils modifie sensiblement les conditions fiscales applicables aux avocats, le revenu médian de la profession s’élevant à 44 000 euros. De même, entre 15 000 et 20 000 kinésithérapeutes seraient affectés ». Les conditions d’acceptabilité et de mise en œuvre opérationnelle ne sont pas réunies, conclut le Sénat. Ces inquiétudes ont été entendues par le gouvernement qui a tenu à réaffirmer son attachement au régime fiscal des auto‑entrepreneurs, avant d’annoncer sa décision de suspendre la mise en œuvre de la réforme jusqu’à la fin de l’année 2025.
Référence : AJU017l2
