Évaluation immobilière : démonstration insuffisante de l’Administration

Publié le 29/09/2017

Remise en cause de la valeur immobilière d’un bien par l’administration fiscale : la charge de la preuve repose sur l’Administration. La cour administrative d’appel de Paris rappelle que cette démonstration doit être solidement justifiée, notamment par des comparables adéquats. L’évaluation d’un bien immobilier constituant un exercice délicat, l’administration fiscale a mis en place pour les immeubles destinées à des fins non professionnelles, une base de comparables, destinée à sécuriser ces évaluations.

Par un arrêt en date du 20 juin 20171, la cour administrative d’appel de Paris fournit un exemple dans lequel la démonstration adoptée par l’administration fiscale en matière d’évaluation immobilière s’avère insuffisante. Il s’agit d’une affaire dans laquelle une société de droit danois a reçu par voie d’apport des immeubles d’une société luxembourgeoise et a ensuite procédé à une réévaluation libre de ces immeubles avant de les affecter à sa succursale française. À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a estimé que la valeur des immeubles a été portée à une valeur excessive et a en conséquence réduit, à due concurrence, les amortissements afférents aux immeubles concernés et a rectifié les moins-values déclarées à la suite de la vente de ces immeubles. Conformément à la solution dégagée par les premiers juges, la cour administrative d’appel de Paris juge que l’administration fiscale ne démontre pas la surévaluation des trois immeubles litigieux par la société de droit danois, laquelle s’était en outre fondée sur l’expertise du cabinet Catella Residential et sur deux rapports du cabinet CBRE.

La société de droit luxembourgeois Eylau-Raymond Poincaré Paris 75016 SARL a, le 30 septembre 2005, acquis trois immeubles à Paris XVI, situés 8, avenue d’Eylau, 7 et 11, avenue Raymond Poincaré, respectivement aux prix de 6 256 500 €, 2 500 000 € et 7 000 000 €. Par un acte du 29 août 2008, cette société a, dans le cadre d’une opération de fusion opérée le 17 juillet 2008, fait apport de ces trois immeubles à la société de droit danois 8 av. d’Eylau – 7/11 av. Raymond Poincaré Paris XVI APS, pour les valeurs respectives de 5 774 103 €, 2 403 330 € et 6 782 280 €. La société de droit danois a procédé à une réévaluation libre de ces immeubles en décembre 2008 avant de les affecter à sa succursale française, immatriculée le 29 juin 2009 au registre du commerce et des sociétés de Paris, qui les a inscrits à l’actif de son bilan pour leurs valeurs réévaluées, soit 14 399 880 €, 5 365 410 € et 14 154 900 €.

La succursale française de la société de droit danois a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des exercices clos les 30 juin 2009, 2010, 2011 et 2012. À l’issue de cette vérification fiscale, l’administration fiscale a notamment remis en cause, d’une part, la valeur d’inscription des biens immobiliers à l’actif de la succursale, qu’il a estimée excessive, d’autre part, la quote-part représentative des terrains d’assiette des trois immeubles, qu’il a portée de 30 % à 45 % au sein de la valorisation de ces biens immobiliers. En conséquence, l’administration fiscale a, en premier lieu, réduit les dotations aux amortissements pratiquées par la contribuable au titre de ses immeubles au cours des exercices vérifiés et a, en second lieu, annulé une moins-value et majoré une plus-value de cessions résultant de la vente, le 16 décembre 2010, des immeubles sis 8, avenue d’Eylau et 7, avenue Raymond Poincaré. En outre, à l’issue de ce contrôle fiscale, l’administration fiscale a notifié à la succursale française d’autres chefs de rectification fondés sur la réintégration de charges non justifiées, sur la remise en cause du caractère immédiatement déductible de travaux immobiliers qu’il a regardés comme constituant des immobilisations et sur la remise en cause d’une minoration du compte d’actif « bâtiment 11 avenue Raymond Poincaré ». Aux termes de l’article 39 du Code général des impôts (CGI), applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du CGI, le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment les amortissements réellement effectués par l’entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d’après les usages de chaque nature d’industrie, de commerce ou d’exploitation. En l’espèce, l’administration fiscale a remis en cause les dotations aux amortissements pratiquées par la société 8 avenue d’Eylau – 7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS à raison des trois immeubles dont elle était propriétaire, ainsi que le montant des plus et moins-values réalisées au titre de l’exercice clos le 30 juin 2011 à l’occasion de la cession, le 16 décembre 2010, de deux de ses immeubles, au motif que la société aurait commis un acte anormal de gestion en évaluant les trois immeubles inscrits à l’actif de son bilan à une valeur supérieure à celle du marché. Compte tenu des résultats déficitaires déclarés par la succursale de droit français, l’ensemble des chefs de rectification ainsi notifiés a eu pour effet de rendre bénéficiaire, à hauteur de 579 235 €, le seul exercice clos le 30 juin 2011. Une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés d’un montant, en principal, de 193 078 €, a été mise en recouvrement au titre de cet exercice par avis n° 140200046 du 20 février 2014. Seule cette cotisation supplémentaire, qui en réalité n’a trait qu’aux exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012, a été contestée par la société 8 avenue d’Eylau – 7/11 avenue Raymond Poincaré. 75016 APS.

La société 8 avenue d’Eylau – 7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer, d’une part, la décharge de la contribution annuelle représentative du droit au bail à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2009 à 2012, d’autre part, la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2009, 2010, 2011 et 2012.

Le tribunal administratif de Paris2 a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles la société 8 avenue d’Eylau – 7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2009, 2010, 2011 et 2012 et rejeté le surplus de sa demande. L’administration fiscale s’est pourvue en appel afin d’obtenir l’annulation des articles 1er et 2 du jugement du 4 octobre 2016 par lesquels le tribunal administratif de Paris a respectivement prononcé la décharge des suppléments d’impôt sur les sociétés mis à la charge de la société 8 avenue d’Eylau – 7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS au titre des exercices clos les 30 juin 2009, 2010, 2011 et 2012 et mis à la charge de l’État une somme de 1 000 € au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Un jugement ultra petita ?

Pour l’administration fiscale, le jugement est entaché d’irrégularité pour avoir statué ultra petita dès lors que la société requérante n’a contesté que la remise en cause de la valorisation de ses trois immeubles, tandis que les rappels litigieux procèdent de plusieurs chefs de rectification. La société n’établit pas, comme elle en a la charge contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, le bien-fondé de la valeur comptable de chacun de ses trois immeubles qu’elle a inscrite à l’actif de son bilan à la suite d’une réévaluation libre effectuée en décembre 2008, sensiblement réévalués par rapport aux valeurs retenus dans l’acte d’apport du 17 juillet 2008.

La société requérante n’a en effet, devant le tribunal administratif de Paris, contesté que la remise en cause, par le vérificateur, de l’évaluation faite en décembre 2008 des trois immeubles dont la société de droit luxembourgeois avait fait apport à la société de droit danois, ce qui a entraîné un rehaussement de la base imposable à l’impôt sur les sociétés à raison de la minoration, à due concurrence, des dotations aux amortissements, et à raison des rectifications des moins-values de cession. L’administration fiscale rappelle que la société 8 avenue d’Eylau – 7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS n’a notamment pas contesté la rectification consistant à porter de 30 % à 45 % la quote-part représentative des terrains d’assiette, ce qui a pour effet de réduire les dotations aux amortissements dès lors que les terrains ne peuvent pas être amortis. Elle se fonde sur ce point pour en déduire que les premiers juges, qui ont prononcé la décharge totale du supplément d’impôt sur les sociétés mis en recouvrement à l’encontre de l’intimée, ont statué ultra petita.

Les résultats de l’intimée seraient restés déficitaires au titre de chacun des exercices en cause si n’avait pas été pris en compte le rehaussement procédant de la seule remise en cause de la valeur des immeubles inscrite à l’actif du bilan résultant de la réévaluation libre effectuée en décembre 2008 par la société de droit danois. Les premiers juges, qui n’ont par ailleurs pas répondu à des moyens qui n’avaient pas été invoqués devant eux, n’ont donc pas statué ultra petita en prononçant la décharge totale du seul supplément d’impôt sur les sociétés assigné à la société intimée et mis en recouvrement par un avis n° 140200046 émis le 20 février 2014 pour un montant, en droits et pénalités, de 286 721 €, concluent les juges d’appel.

La méthode adoptée par l’administration fiscale

La charge de la preuve repose sur l’administration fiscale. Elle doit démontrer l’exagération de la valeur d’un élément d’actif immobilisé retenue par le contribuable, quelle que soit la procédure d’imposition. La circonstance que la société vérifiée n’ait pas présenté ses observations dans le délai légal suite à la proposition de rectification du 8 mars 2013 relative aux exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012 est sans influence sur la charge de la preuve. Dès lors, conclut la cour administrative d’appel de Paris, c’est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la preuve de l’exagération de la valeur des immeubles litigieux inscrite à l’actif de son bilan par la société intimée incombait au service, en dépit des dispositions de l’article R*. 194-1 du Livre des procédures fiscales.

Les trois biens immobiliers litigieux sis 8 avenue d’Eylau, 7 avenue Raymond Poincaré et 11 avenue Raymond Poincaré à Paris XVI ont fait l’objet d’une réévaluation libre, de la part de la société de droit danois, en décembre 2008. Cette réévaluation a conduit sa succursale de droit français à les inscrire à l’actif de son bilan pour des montants respectifs de 14 399 880 €, 5 365 410 € et 14 154 900 €, soit un prix au m2 de 11 000 €, 9 500 € et 10 000 €. L’administration fiscale, se fondant sur plusieurs transactions immobilières, a estimé que les valeurs vénales de ces immeubles s’établissaient respectivement à 11 859 540 €, 4 452 200 € et à 11 645 450 €, ce qui correspond à un prix au m2 égal, respectivement, à 9 060 €, 7 880 € et 8 230 €.

Lorsque l’Administration entend rectifier la valeur d’un bien, elle doit recourir à des comparaisons avec des cessions de biens intrinsèquement similaires. Afin d’établir le prix moyen au m2 dont elle a fait application à chacun des trois immeubles en cause, l’administration fiscale a retenu trois comparables pour l’immeuble avenue d’Eylau et quatre comparables pour les immeubles situés 7 et 11 avenue Raymond Poincaré. Il résulte de l’instruction qu’alors que la réévaluation libre litigieuse a été opérée en décembre 2008, seule une mutation parmi celles retenues par l’Administration a eu lieu le 31 mars 2008, les autres s’étant produites entre novembre 2006 et juillet 2007 dans un contexte immobilier alors fortement haussier. Le comparable cédé le 31 mars 2008, situé 15 avenue Raymond Poincaré, fait ressortir un prix au m2 de 10 516 €, soit supérieur à celui retenu par la société de droit danois pour les immeubles situés au 7 et au 11 de la même avenue, et inférieur de seulement 4,50 % à celui retenu par l’intimée pour son immeuble sis avenue d’Eylau. Ainsi que l’ont estimé les premiers juges, l’Administration n’établit pas la surévaluation des trois immeubles litigieux par la société de droit danois, laquelle s’était en outre fondée sur l’expertise du cabinet Catella Residential et sur deux rapports du cabinet CBRE. La circonstance, invoquée par l’administration fiscale, tirée de ce que la valeur des immeubles litigieux figurant dans l’acte d’apport du 17 juillet 2008 et celle résultant de la réévaluation libre, opérée seulement cinq mois plus tard, a été très sensiblement augmentée est sans incidence, ce d’autant plus que les valeurs retenues lors de l’apport sont inférieures de moitié à celles estimées par l’administration fiscale elle-même. L’administration fiscale n’est donc pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge, en droits et pénalités, du supplément d’impôt sur les sociétés mis en recouvrement par avis du 20 février 2014 à l’encontre de la société 8 avenue d’Eylau – 7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS, au titre de l’exercice clos le 30 juin 2011.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CAA Paris, 20 juin 2017, n° 17PA00411.
  • 2.
  • 3.
    TA Paris, 4 oct. 2016, n° 1513296/1-2.
  • 4.
LPA 29 Sep. 2017, n° 129a7, p.4

Référence : LPA 29 Sep. 2017, n° 129a7, p.4

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