Procès des geôliers de Daech : Perpétuité requise contre Nemmouche, « un sociopathe dénué de toute empathie »

Publié le 20/03/2025 à 14h45

À l’issue d’un réquisitoire rigoureux, prononcé à deux voix durant huit heures, les avocats généraux du Parquet national antiterroriste (PNAT) ont requis la réclusion à vie contre Mehdi Nemmouche, « l’incarnation du djihad barbare », et deux accusés jugés par défaut. Ils ont demandé des peines de 30 et 20 ans contre le Franco-Algérien Abdelmalek Tanem et le Syrien Kaïs Al-Abdallah. Le verdict est attendu vendredi.

Procès des geôliers de Daech : Perpétuité requise contre Nemmouche, « un sociopathe dénué de toute empathie »
Le reporter de guerre Didier François, interviewé mercredi 19 mars au Palais de justice de Paris (Photo : ©I. Horlans)

 En raison de « l’exceptionnelle gravité des crimes reprochés », ainsi que de « son absence totale d’affect », Benjamin Chambre, premier vice-procureur du PNAT, a considéré que doit être prononcée contre Mehdi Nemmouche « une peine qui protège définitivement la société ». Parce qu’il voit en lui « l’un des djihadistes les plus pervers et les plus cruels de ces dix dernières années », l’avocat général a recommandé, mercredi 19 mars, la perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans contre le Roubaisien qui fêtera ses 40 ans le 17 avril prochain. Sa « dangerosité extrême et permanente » et la conviction, acquise pendant cinq semaines à la cour d’assises spécialement composée de Paris, qu’il n’existe « aucune lueur d’espoir d’amendement », ont conduit le magistrat à solliciter la sanction la plus élevée.

Selon lui, un sort identique doit être réservé au Belge Oussama Atar et au Franco-Algérien Salim Benghalem, si tant est qu’ils soient encore vivants : respectivement ordonnateur des attentats du 13-Novembre et cadre de la cellule d’opérations extérieures de l’EI, ils ont vraisemblablement été tués par les bombardements de la coalition en Syrie. Enfin, contre les hommes présents à l’audience, le Franco-Algérien Abdelmalek Tanem qui fut garde du corps du chef de la détention à Alep, et le Syrien Kaïs Al-Abdallah alias Abou Hamza TNT, chimiste en charge d’explosions et ancien numéro 2 de Daech à Raqqa, ont été requis 30 ans (avec sûreté des deux tiers) et 20 ans (soit le maximum pour Al-Abdallah qui n’a pas infligé de sévices).

« Une idéologie mortifère vouée à détruire les hommes »

 Mehdi Nemmouche, principal accusé de ce procès contre cinq geôliers de l’organisation Etat islamique (EI ou Daech), dont quatre sont suspectés de séquestration d’otages avec actes de torture et de barbarie, a accueilli sans émotion apparente la sentence réclamée. Qu’elle soit suivie ou non par les cinq juges n’aura, de toute façon, aucune conséquence sur son avenir : il a été condamné à vie pour l’attentat du Musée juif à Bruxelles, où il a exécuté quatre visiteurs et employés le 24 mai 2014. C’est à la suite de sa capture à Marseille, le 30 mai, de la diffusion de sa photo, que le journaliste Nicolas Hénin, otage libéré 42 jours plus tôt, l’a formellement identifié. Et après lui ses collègues d’infortune, Didier François, Edouard Elias et Pierre Torres, notamment (nos articles des 28 février ici, 3 mars ici et 19 mars ici).

Comme ses compagnons de box, il nie toute participation aux crimes. Par conséquent, les avocats généraux Benjamin Chambre et Rachel Lecuyer se sont employés à exposer l’accumulation de charges.

Convoquant Hannah Arendt dans La banalité du mal – « L’être humain ne doit jamais cesser de penser. C’est le seul rempart contre la barbarie » – ou Cioran – « La barbarie est accessible à tout le monde : il suffit d’y prendre goût » (La Tentation d’exister) – « et incontestablement Nemmouche y a pris goût », complète M. Chambre, il détaille, dans sa riche introduction, cette « entreprise de déshumanisation » que représente l’EI, et son « idéologie mortifère vouée à détruire les hommes ». Citant Primo Levi (Si c’est un homme), il rappelle que « “l’ennemi, c’est l’étranger”, je remplace ici par l’ennemi, c’est le mécréant ».

En l’occurrence, les 25 journalistes et humanitaires occidentaux kidnappés et suppliciés entre 2012 et 2014 – seuls 16 sont « revenus de l’enfer ».

La fable de la lutte contre le tyran Assad, de la défense des opprimés

  Cette fois avec Voltaire – « L’abus de la religion la plus sainte produit de grands crimes » –, Benjamin Chambre introduit le « djihadisme barbare », dont Nemmouche est « l’incarnation », « le vrai visage », qui a conduit les accusés et des milliers d’autres radicalisés à traquer, enlever, torturer, tuer les infidèles. À ne pas amalgamer aux « non-partisans de la cause ». Ainsi, développe-t-il, ils ont « hiérarchisé » leurs victimes : d’un côté, les otages à « forte valeur marchande », décapités si les négociations échouaient ; de l’autre, les Syriens soumis à « d’effroyables sévices et froidement exécutés par milliers » : la vie de ces derniers « ne valait rien, en tout cas moins que celle des Français ».

Sur la base de ce postulat, il démolit « la démarche altruiste » que servent les combattants de l’EI, « des fables auxquelles il faut couper court ». Celle « des humanitaires qui agissent en défense des opprimés », la fable « de la lutte contre le tyran Bachar el-Assad relayée par la presse, invoquée par la défense ». Mais, « bien entendu, c’est un tyran qui a gazé sa population, et fait des centaines de milliers de morts », précise-t-il. Seulement « jamais le peuple syrien n’a demandé à Daech de le délivrer » : « Ces opportunistes du crime » l’ont sauvagement assujetti. Enfin, « la fable des attaques par l’Occident impliquant une riposte à la coalition », relève, là encore, de la « falsification de l’histoire qui ne résiste pas à l’examen ! »

Il s’inquiète également « de la transmission générationnelle, qui doit être un avertissement pour cette cour, pour la France », tant ces djihadistes font croire qu’ils « secourent » les tyrannisés, « dans l’esprit des brigadistes de 1936 au début de la guerre civile espagnole ».

La coopération internationale « et l’énigme britannique »

 Benjamin Chambre, qui a confié en préambule son « admiration » pour les dix otages ayant témoigné durant le procès afin de « participer à l’œuvre judiciaire », a ensuite décrit les quatre phases « du chaos », des actions du Front al-Nosra à Daech : « La chasse aux Occidentaux par “les Beatles” », ces quatre Britanniques qui décapitaient, puis « l’accueil à bras ouverts du contingent étranger » – dont une dizaine de francophones à Alep en 2013, et parmi eux les accusés.

Pour appuyer sa démonstration, il a rappelé des déclarations marquantes des otages, particulièrement celle du jeune Edouard Elias : « On entendait les cris, les hurlements permanents des prisonniers syriens qui mouraient. C’était de l’abattage. Certains étaient égorgés devant ma porte, je voyais le sang qui coulait. »

Rachel Lecuyer, vice-procureure du PNAT, lui a succédé pour reconstituer l’enquête après la première identification par Nicolas Hénin. À ce titre, elle a salué « le travail des otages qui ont tenu un journal de bord mental », qui « sont restés journalistes dans l’horreur ». Elle rend surtout hommage aux policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à la force de frappe que la coopération internationale a constituée : Belgique, Etats-Unis, Syrie, Pays-Bas, Allemagne, Russie, Espagne, la liste est longue. Plus une ONG qui a fourni 2 860 heures de films saisis dans le sinistre sous-sol de l’hôpital d’Alep. Unique point noir, « l’énigme britannique » : « Aucune poursuite judiciaire n’a été engagée contre quatre ressortissants identifiés comme bourreaux de leurs trois compatriotes. » Les familles des victimes décapitées « attendent beaucoup de votre cour ». Son collègue a fustigé les « défaillances des autorités » du Royaume-Uni qui ont simplement choisi « de déchoir “les Beatles” de leur nationalité ».

« Vous devriez m’éliminer (…) car je tuerai le maximum d’apostats »

 Tour à tour, les avocats généraux vont établir les responsabilités de chaque accusé. Rachel Lecuyer soutient l’accusation contre Salim Benghalem, jugé in absentia mais dont on retiendra une formule – « Après avoir coupé deux, trois têtes, plus personne n’insulte Allah » –, et Abdelmalek Tanem que les écoutes et l’épouse du premier, son meilleur ami, ont confondu. Benjamin Chambre se charge des autres, consacre 90 minutes à Mehdi Nemmouche, « un sociopathe dénué de toute empathie », « l’un des plus dangereux de France ».

Quand il effectue sa septième détention avant de rejoindre la Syrie, il lance au directeur du centre pénitentiaire : « Vous, les suppôts de la République, vous devriez m’éliminer physiquement car, dès que je pourrai, je tuerai le maximum d’apostats et je mourrai en martyr. » Cependant, « il ne veut pas mourir », assure le parquet antiterroriste. Trop narcissique, enfermé dans une posture de destructeur qui « assure sa légende », à ce point imbu qu’il ne se méfie pas de ses bavardages qu’ont mémorisés les otages.

« Ils ont établi un véritable portrait chinois de Nemmouche », se félicite M. Chambre ; grâce à celui-ci, le ministère public n’a « plus aucun doute ». Ses obsessions confiées aux reporters prisonniers l’ont trahi : Aznavour et Trenet, la guerre en Bosnie, sa fascination pour Mohammed Merah dont on commémorait, précisément hier, le 13e anniversaire de sa tuerie à l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse, sa passion pour l’émission « Faites entrer l’accusé ». À la cour, le magistrat dit souhaiter « que vous fassiez oublier l’accusé ».

Également trahi, souligne-t-il, « par son ironie, son phrasé, ses blagues de mauvais goût et son antisémitisme viscéral : il rêvait de “fumer des petites juives” ». Par son physique, enfin, « surtout son profil », qui se distingue par un long nez pointu, reconnaissable sur les vidéos enregistrées dans les geôles d’Alep.

« La perversité » de cet homme (figé et indifférent dans son box) qui riait des otages – « c’est la vie, mec, elle est belle, elle est triste » – et « qui a pris la kounya la plus ridicule jamais entendue au PNAT », Abou Daniel, une référence au prophète de la Bible hébraïque, est désormais confronté, quoi qu’il arrive, à sa propre défaite.

Les avocats de la défense plaident aujourd’hui.

 

 

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