Tribunal de Paris : « Il y a deux grammes, on est loin de grand banditisme »
Une femme et un homme sont notamment jugés pour une infraction liée aux stupéfiants. Elle est libre et comparaît à la barre, il doit être jugé en visioconférence depuis la prison où il purge une peine pour des violences commises contre elle. Mais quand la connexion est établie, ça ne se passe pas comme prévu.

La procureure vient de requérir une peine de prison ferme contre son client, pour lequel l’avocate s’apprête à plaider la relaxe ; mais elle est stoppée dans son élan : « Maître, vous avez exactement sept minutes pour votre plaidoirie, car nous avons une visioconférence à 15h », lui rappelle le président, qui n’a pas chronométré sa collègue du ministère public. L’avocate en souriant promet d’être concise et dépasse de trois minutes. Elle n’a pas prononcé le mot « relaxe » que les écrans de la salle d’audience 4.03 du tribunal judiciaire de Paris s’allument, qu’une sonnerie d’appel retentit et que, finalement, un agent de l’administration pénitentiaire apparaît en très gros plan et dit : « Monsieur Mehdi Z. a fait un refus de visio. Il a signé le formulaire, ça vous sera transmis par le greffe.
— Ah », s’exclame la juge assesseur qui s’apprêtait à rapporter le dossier.
La juge dit à Ouaffa, 29 ans, que le dossier de son co-prévenu devra être renvoyé et que, puisque les faits sont liés, ça sera compliqué de juger les deux séparément. Elle lui demande : « qu’avez-vous à dire sur ce point ? » Et Ouaffa répond calmement que le dossier a déjà été renvoyé l’année dernière à sa demande à lui et que s’il est en prison « pour autre cause », comme a dit la juge, elle (Ouaffa) sait très bien de quoi il s’agit : des violences qualifiées d’actes de tortures et de barbarie commis sur elle, et qui lui ont valu trois ans de prison (à lui), dit-elle. Et c’est pour cette raison que Ouaffa aimerait ne plus jamais voir Mehdi et se débarrasser de cette affaire au plus vite.
Disjonction
La procureure « comprend qu’elle n’ait plus envie de voir un homme qui lui a fait du mal », mais les faits étant très liés, puisqu’ils étaient dans la même voiture, et puisqu’ils se contredisent sur certains points, cela lui semble délicat de disjoindre les deux cas. Cela étant dit, elle s’en « remet à la sagesse du tribunal », qui décide, après une suspension expresse, de disjoindre les deux cas, de renvoyer celui de Mehdi au 10 avril et de juger Ouaffa sur-le-champ.
Le 22 avril 2022, des policiers patrouillent rue de Chazelles, dans le 17e arrondissement, quand ils repèrent au volant d’une Polo un homme et sa passagère, « vous, Madame ». Ils contrôlent. Monsieur n’a pas ses papiers, Madame montre sa carte d’identité. La voiture est à elle. Les policiers remarquent à hauteur du levier de vitesse une fausse carte de mobilité inclusion ; c’est évident, notent-ils, au vu de la très mauvaise qualité de fabrication.
Le conducteur leur semble fuyant. Il a l’air de chercher une échappatoire. Soudainement, il s’extrait du contrôle et prend la fuite dans le parc Monceau. Ils lui courent après. « Vous, Madame, vous montez dans le véhicule côté conducteur », comme si elle voulait s’enfuir. En fait, dit-elle, elle est entrée dans la voiture parce qu’elle était au milieu de la rue, seule, et qu’elle a estimé que c’était le meilleur endroit pour attendre le retour des policiers.
Ils fouillent le véhiculent et trouvent deux sachets transparents contenant au total 2g de résine de cannabis. Ils sont placés en garde à vue.
Ce 2 avril 2025, la juge demande à Ouaffa : « Est-ce que le rapport était fidèle à la réalité ?
— Oui, en gros, c’était ça. Le stupéfiant nous appartenait à tous les deux, on était des consommateurs.
— Parlez-nous de cette carte handicapé.
— Je l’ai achetée il y a plusieurs années, mais elle ne m’a jamais servie.
— Pourquoi vous l’avez achetée ?
— J’étais commerciale et je travaillais sur Paris, c’était pour ne pas payer d’amende de stationnement.
— Vous savez qu’il y a un monsieur qui détient vraiment une carte handicapé et qui a subi un préjudice ? »
La juge souligne que si elle est renvoyée pour transport et non pour détention de stupéfiants, c’est que les enquêteurs soupçonnent un trafic. La prévenue s’étonne : « il y a deux grammes, on est loin de grand banditisme.
— Le portable de Monsieur borne dans tout Paris et dans toute la région parisienne », objecte la juge. « Et vous avez 300 euros sur vous. » Mais aucun acte d’enquête n’a permis de mettre au jour un trafic pour lequel, de toute façon, Mehdi n’est pas poursuivi.
« Je suis un peu serrée aux entournures »
C’est ce que souligne la procureure, magnanime, qui admet : « Je suis un peu serrée aux entournures sur l’infraction à reprocher à Madame…Elle a l’argent sur elle, mais pour autant on n’a pas fait sa téléphonie, et le stupéfiant trouvé est dans une quantité assez faible ». L’infraction de transport ne lui semble pas la plus appropriée. Elle requiert néanmoins six mois de prison avec sursis et une peine complémentaire d’inéligibilité d’une durée de deux ans, obligatoire (pour l’usage de la fausse carte de stationnement handicapé).
Ouaffa se défend seule. Elle dit que six mois lui semblent excessifs. Le tribunal l’entend : quatre mois avec sursis, auquel il décide d’ajouter 300 euros d’amende délictuelle. Et donc, deux ans d’inéligibilité pour la jeune femme.
Référence : AJU498120
