Affaire J. Cohen-Sabban et X. Nogueras : l’appel ne porte pas sur la relaxe, plaide la défense

Publié le 31/03/2025 à 22h51

La cour d’appel de Paris examine jusqu’au 10 avril prochain l’affaire dans laquelle les avocats Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras ont été condamnés en 2023 pour violation du secret professionnel. Au premier jour du procès, la défense a contesté l’étendue de la saisine de la cour, estimant que celle-ci n’incluait pas les faits de complicité de tentative d’escroquerie au jugement ayant donné lieu à une relaxe. 

Première chambre de la Cour d'Appel du Palais de Justice de Paris (France)
Florence Piot/AdobeStock

Dans la salle Ezratty située au pied de l’escalier Z du Palais de justice de la Cité, les avocats se congratulent en attendant l’entrée de la Cour. L’ambiance est plus intime et surtout beaucoup moins anxieuse qu’en première instance, mais on sent quand même une inquiétude, car les enjeux sont importants, tant pour les prévenus que pour la profession d’avocat. Le nom d’Hervé Temime, dont ce fut la dernière plaidoirie avant son décès brutal, le 10 avril 2023, est sur toutes les lèvres. Sa présence chaleureuse manque à ses confrères.  Sur un banc du public, quelques représentants de la famille des 11e secrétaires de la conférence sont venus – discrètement et sans robe – soutenir celui des leurs qui comparait devant la cour, Xavier Nogueras, ainsi que leur confrère Joseph Cohen-Sabban.

Dans le box, sous la surveillance de quatre gendarmes, sont assis les deux accusés détenus : Robert Dawes, 53 ans et son conseil et ami Paul Hugues, 71 ans. C’est à l’occasion du procès du premier pour trafic de stupéfiants (saisie de 1,3 tonne de cocaïne en 2013 à Roissy) devant les assises de Paris en décembre 2018 que se sont produits les faits jugés en appel à compter de ce lundi 31 mars. La justice a condamné en première instance Robert Dawes à 5 ans de prison pour complicité de faux en écriture publique, tentative d’escroquerie au jugement et complicité de violation du secret professionnel et Paul Hugues à 4 ans pour complicité de faux en écriture publique, tentative d’escroquerie au jugement et recel de bien provenant d’une violation du secret professionnel.

L’avocat, un certificateur de pièces ? 

Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras, qui étaient les avocats de Robert Dawes dans ce dossier, comparaissent libres. Ils ont pris place sur des chaises au premier rang face à la cour. Le jugement les a condamnés pour violation du secret professionnel à 15 000 euros d’amende et trois ans d’interdiction d’exercer avec sursis. En revanche, ils ont été relaxés du chef de complicité de tentative d’escroquerie, s’agissant du faux jugement espagnol transmis par leur client. Au-delà du sort de ces deux avocats parisiens très respectés de leurs confrères, c’est toute la profession que ce dossier inquiète car il parait refléter l’idée chez les magistrats que les avocats auraient pour mission de certifier les pièces qu’ils produisent, une obligation impossible qui conduirait, si elle était reconnue, comme l’a expliqué lors de son témoignage en première instance, Vincent Nioré, ancien vice-bâtonnier de Paris, à la mort de la profession (notre article ici). Le règlement n’impose qu’un seul devoir à l’avocat : ne pas produire sciemment un faux.

L’acte d’appel en débat

Los de son prononcé, le jugement avait été salué pour son équilibre, en particulier au regard des réquisitions extrêmement violentes du parquet contre les avocats (notre article ici). Las ! L’appel du ministère public a rouvert le débat, même si l’on ne sait pas très bien dans quelle mesure. La défense a plaidé en effet après le rapport de la présidente que, selon l’acte d’appel, si le recours porte sur l’ensemble des infractions retenues contre Robert Dawes et Paul Hugues, en revanche, il ne mentionne s’agissant des deux avocats que leur condamnation pour violation du secret professionnel et pas leur relaxe concernant la complicité de tentative d’escroquerie au jugement.  Me Mathieu Chirez et Me Jean-Yves Le Borgne pour Xavier Nogueras, et Me Steeve Ruben pour Joseph Cohen-Sabban ont successivement plaidé la jurisprudence de la Cour de cassation, aux termes de laquelle une déclaration d’appel sans précision signifie que l’appel est général, tandis que s’il y a une mention particulière alors celle-ci fixe le périmètre de saisine de la cour.

« Il n’y a que chez les Jésuites que l’intention vaut l’action »

Tel n’est pas l’avis de l’avocat général Christophe Auger pour qui l’appel est général. Il est d’ailleurs descendu de son estrade pour distribuer aux avocats de la défense un document qui le prouve : il s’agit d’une note administrative interne au parquet dans laquelle il est écrit que celui-ci entend faire un appel général à l’encontre du jugement, autrement dit sur toutes les infractions et concernant tous les prévenus. « Il n’y a que chez les jésuites que l’intention vaut l’action » tonne alors Jean-Yves Le Borgne. Si je fais appel le 11e jour, j’en aurais bien l’intention, mais ce sera irrecevable, explique-t-il. Il est fort possible que le parquet ait eu l’intention de faire un appel général, « il n’y a qu’un malheur », objecte-t-il en empruntant la fameuse formule de René Floriot, c’est que ce n’est pas ce qui est écrit. « Nous demandons à votre cour non pas de lire dans les âmes, ni de rechercher les intentions cachées, mais tout simplement de lire le document qui est un acte d’appel limitatif ».

Un « machin de fond de tiroir »

Si le ton de Jean-Yves Le Borgne était patelin, Me Matthieu Chirez peinait quant à lui à contenir sa colère. Car cela fait longtemps que la défense interroge le parquet général pour connaître l’étendue exacte de l’appel. Les informations obtenues, peu claires, semblait orienter vers un appel général, jusqu’à ce que l’acte d’appel soit communiqué à la défense il y a deux semaines et que celle-ci découvre une rédaction différente de ce qui lui était annoncé. L’irruption d’un nouveau document à la fin de la première journée d’audience a été donc assez mal reçue…Me Steeve Ruben a souligné pour sa part que si le document, qualifié de « machin de fond de tiroir » par Jean-Yves Le borgne, indique bien la volonté de faire appel de l’entier dispositif pénal, force est de constater que ce n’est pas ce qui a été fait finalement. Pour l’avocat de Robert Dawes, Me Thomas Bidnic, le magistrat à l’origine de la déclaration d’appel a tout simplement fait usage de sa liberté et limité celui-ci aux condamnations.

La cour peut rendre sa décision à la reprise ou joindre au fond.  Mardi, le tribunal entendra Robert Dawes et Paul Hugues. Mercredi, et jeudi si nécessaire, ce sera le tour de Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban. Lundi sera le jour des témoins, et notamment de l’audition de Vincent Nioré. Les réquisitions auront lieu mardi 8 avril et les plaidoiries mercredi 9.

 

Mise à jour le 1er avril à 13h04 : la Cour a annoncé ce mardi à l’ouverture de l’audience qu’elle joignait au fond la question du périmètre de sa saisine.

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