Les vestiges du Chaos

Publié le 17/03/2017

À nouvel album – il a fallu attendre deux ans depuis Intime –, nouvelle tournée pour Christophe qui conçoit ses concerts comme des films sonores. On ajoutera : aussi comme un puzzle qui se construit au fur et à mesure du spectacle. Sur scène, la configuration est classique, six musiciens discrets, efficaces, parfaits, enveloppent (surtout dans la première partie, la seconde est plus dépouillée) le chanteur de sonorités électriques, de vagues de synthés, de moments magiques et ronds comme le violoncelle, de saxos et aussi d’une clarinette basse somptueuse. Christophe, mélodiste et compositeur hors-pair, musicien des synthétiseurs certes mais aux effluves classiques perceptibles ce soir du 3 mars dernier dans le Silo de Marseille, a toujours su s’entourer de sacrées pointures. On se souvient par exemple, outre les fidèles comme Christophe Van Huffel, qu’il a recruté Carmine Appice et Erik Truffaz sur Aimer ce que nous sommes.

« Les vestiges du Chaos », qui donne son nom à la tournée, est le titre du dernier album (et d’une des chansons) de celui dont le nom évoque celui qui boit de l’eau mais autre chose sur scène ! Lors de sa tournée et de son passage en 2014 à la villa Médicis (les concerts de Christophe en langue italienne, c’est quelque chose…), il avait annoncé cette future sortie, disant toute la fierté qu’il avait de signer sur le label Capitol. On a droit en première partie du concert à l’intégralité de l’album qui est un recueil de pépites instrumentales et poétiques dont les déjà fameuses Lou, Stella Botox, Océan d’amour. Quelques-unes de ces nouvelles chansons ont, chose rarissime, fait l’objet de clips (Dangereuse, Océan d’amour). Le climat étrange et mélancolique qui se dégage de cet univers sonore est entretenu par la projection des visages féminins des personnages d’Enki Bilal.

La seconde partie, introduite par un numéro de danse flamenco moderne et traversée par une apparition made by Dani Lary, est un voyage dans le passé et les chansons d’hier. C’est aussi et surtout un grand moment partagé autour et avec le piano dont Christophe, farceur et un brin cabotin, osera prétendre qu’il ne sait pas très bien jouer au motif qu’il serait incapable de jouer plus de quelques minutes le 1er Prélude de Bach qui a enchanté sa jeunesse lorsqu’un jour il découvrit la scène de la fête foraine dans Lola de Jacques Demy. Il en joue évidemment plus que bien et les moments où il nous ballade à travers ses notes et des arrangements superbes sur Les Mots Bleus, Le dernier des Bevilacqua sont précieux. On aime aussi les duos qu’il organise tout au long de cette partie, chanson après chanson, avec chacun de ses musiciens qui sont ainsi mis en valeur.

Entre les morceaux, Christophe est un conteur. Sa voix chaude fait merveille. Il tisse ainsi des liens (on en vient au concept de « concert puzzle ») entre la clarinette basse et un hommage à Alain Bashung, entre la boule de flipper (rappelant qu’il a écrit la chanson pour Corynne Charby) et « l’objet énervant » créé par un plasticien (matière à déclencher quelques fous rires dans la salle), entre le cinéma qu’il aime et pour lequel il a composé pas mal de BO. Par petites touches il narre ainsi son histoire qui se met en place et en scène ; avec laquelle, par ses chansons et par l’art de la conversation live, il nous unit à lui.

Ceux qui l’ont déjà vu en concert ne seront pas surpris de la manière dont il refuse les rappels. Généreux, il aura quand même tenu la scène presque deux heures et demie, nous offrant le meilleur de lui-même et de ses musiciens. Plus besoin alors de taper dans les mains pour une énième chanson qui, nous fait-il comprendre, serait peut-être de trop. Au fait, et Aline ? Là, on ne vous dit rien, vous aurez la surprise.

 

LPA 17 Mar. 2017, n° 125a0, p.14

Référence : LPA 17 Mar. 2017, n° 125a0, p.14

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