Responsabilité du contractant défaillant envers un tiers : Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?

L’arrêt rendu le 3 juillet 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation manifeste la volonté de faire évoluer une des jurisprudences les plus décriées du XXIe siècle. Réaffirmant l’identité des fautes contractuelle et délictuelle, il est jugé que la défaillance du contractant suffit à engager sa responsabilité délictuelle envers le tiers auquel il cause un dommage.
Toutefois, afin de mieux prendre en compte les prévisions contractuelles des parties, la chambre commerciale procède à une innovation en décidant que le contractant défaillant peut opposer au tiers victime, agissant sur le fondement délictuel, les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants. Certes, l’équilibre entre les intérêts du contractant défaillant et le tiers victime semble rétabli. Néanmoins, cette action délictuelle au régime contractuel suscite de nombreuses interrogations. Toutes les « conditions et limites » devraient-elles être opposables au tiers victime ? Ce dernier pourrait-il demander le contrôle judiciaire des clauses qui les aménagent ? Devrait-il conserver le choix du fait générateur qu’il invoque (manquement à un devoir général ou manquement contractuel) pour bénéficier ou non de l’allégement probatoire et, en contrepartie, subir ou non les conditions et limites de la responsabilité contractuelle ? Ces nombreuses questions nous ont conduit à formuler autant de propositions.
« L’équité est le grand point, qu’importe la justesse / Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ». Un pastiche des célèbres vers de Musset : voilà ce que nous inspire l’arrêt rendu le 3 juillet 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation1.
La décision manifeste la volonté de faire évoluer une des jurisprudences les plus décriées du XXIe siècle. Réaffirmant l’identité des fautes contractuelle et délictuelle, il est jugé que la défaillance du contractant suffit à engager sa responsabilité délictuelle envers le tiers auquel il cause un dommage. Le tiers victime conserve l’avantage de ne pas avoir à prouver de faute séparable.
Toutefois, afin de mieux prendre en compte les prévisions contractuelles des parties, la chambre commerciale procède à une innovation en décidant que le contractant défaillant peut opposer au tiers victime, agissant sur le fondement délictuel, les conditions et limites du contrat. Ainsi, l’arrêt rétablirait l’équité que l’arrêt Myr’ho/Bootshop avait brisé.
Malheureusement, en rendant opposables les conditions et limites du contrat dans le cadre d’une action en responsabilité délictuelle les juges font fi d’une grande summa divisio du droit français des obligations.
L’équité est donc le grand point. Mais fallait-il sacrifier sur son autel la cohérence, certes relative, de la technique juridique2 ?
Un contrat de prestation de service est conclu en novembre 2014 entre la société Clamageran (entreprise prestataire) et la société Aetna Group France (cocontractant). L’objet du contrat porte sur la manutention et le déchargement de machines appartenant à la société Aetna Group SPA (tiers au contrat).
Un salarié du prestataire endommage une des machines. Le propriétaire, tiers au contrat, est indemnisé par son assureur. Ce dernier, subrogé dans les droits de son assuré, assigne l’entrepreneur en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
À hauteur d’appel, la Cour a usé de sa faculté de relever d’office pour substituer un fondement délictuel à l’action en responsabilité contractuelle et en déduit l’inopposabilité des clauses limitatives de responsabilité invoquées par le prestataire3. Ce dernier forme donc un pourvoi en cassation. Dans un premier moyen, il soulève un point de procédure, déclaré non fondé et qui ne sera pas commenté4.
Le second moyen est autrement intéressant, car il touche à un point volontairement laissé de côté par la réforme du droit des obligations de 2016 : la réparation du préjudice causé aux tiers par un manquement contractuel5. En l’espèce, la requérante reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir violé l’ancien article 1134 du Code civil, c’est-à-dire la force obligatoire du contrat, en décidant que, lorsqu’un tiers invoque sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle l’inexécution d’une obligation contractuelle, les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les cocontractants ne lui sont pas opposables.
La question posée à la Cour régulatrice était donc de savoir si le tiers victime d’un préjudice né d’un manquement contractuel et agissant en responsabilité délictuelle pouvait se voir opposer les clauses limitatives stipulées dans le contrat. La chambre commerciale, statuant en formation de section, répond par l’affirmative et rend ainsi une décision historique6.
À première vue, en rappelant le principe de l’identité des fautes contractuelle et délictuelle et en le rattachant expressément aux arrêts Myr’ho / Bootshop et Sucrerie de Bois Rouge7, la chambre commerciale se place dans la continuité de la « politique jurisprudentielle »8 de l’assemblée plénière. Ainsi, on pourrait croire que l’incartade de 2017 est oubliée9.
Mais, à y regarder de plus près, la chambre commerciale procède à une innovation. Elle ajoute que, pour ne pas « déjouer les prévisions du débiteur (…) et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier », il convient d’admettre que le tiers victime puisse se voir « opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants10 ». Certes, cette innovation ne peut être qualifiée formellement de revirement, à tout le moins car elle n’a pas été formulée en assemblée plénière11. Par ailleurs, jusqu’alors, la Cour de cassation ne s’est jamais exprimée sur la question. Néanmoins, si l’on se souvient d’un obiter dictum de l’arrêt Sucrerie de Bois Rouge – « il importe de ne pas entraver l’indemnisation de ce dommage ». – alors l’arrêt Clamageran pourrait manifester une volonté de dissidence.
Pour reprendre l’expression d’un auteur, l’arrêt revient « non pas à briser la jurisprudence Myr’ho/Bootshop, mais plus exactement à la corriger, en gommant la principale critique qui lui est adressée12 ». L’opposabilité des conditions et limites de la responsabilité contractuelle au tiers qui agit en responsabilité délictuelle contre le débiteur défaillant procède d’une recherche d’équilibre entre les intérêts en présence. Le grand point de l’arrêt serait donc l’équité.
Toutefois, à y regarder de plus près, la Cour de cassation adopte une solution singulière, consacrant une action délictuelle au régime contractuel. Ce faisant la chambre commerciale s’éloigne de certaines préconisations doctrinales13 ainsi que des projets de réforme14 tant du point de vue de la nature unitaire de l’action – intégralement délictuelle ou contractuelle – que d’un éventuel droit d’option de la victime entre les deux types d’action. Par ailleurs, la solution prétorienne malmène la summa divisio, certes fragile, du droit français de la responsabilité. « L’équité serait donc le grand point, qu’importe la justesse ».
Faut-il donc se féliciter : « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse » ?
Certes, la décision manifeste la recherche d’un équilibre entre les intérêts du tiers victime et ceux du contractant défaillant (I). Néanmoins, compte tenu de la fragilité du régime sur lequel il est construit, l’équilibre pourrait malheureusement s’avérer précaire (II).
I – La recherche d’un équilibre
On se souvient de la critique cinglante adressée par Geneviève Viney à l’arrêt Myr’ho / Bootshop : « [En]définitive, le choix du régime délictuel nous paraît à la fois juridiquement injustifié et pratiquement dangereux pour le respect des contrats »15.
La doctrine critique de manière quasi unanime16 l’identité des fautes contractuelle et délictuelle pourtant réaffirmée ici. Elle dénonce, également, de manière unanime l’atteinte aux prévisions contractuelles des conséquences de la responsabilité délictuelle du contractant défaillant envers le tiers victime. Sont particulièrement visés l’inopposabilité des clauses limitatives de responsabilité et le principe de réparation intégrale du préjudice. Pour autant, alors que la Cour de cassation reste sourde au premier reproche, elle prend en compte ici le second. La réception du discours de l’École par le Palais est ici remarquable. Il est à la fois partiel et discret. Il est partiel, car les juges refusent de remettre en cause l’identité des fautes contractuelle et délictuelle, faisant donc prévaloir leur politique jurisprudentielle sur les objections universitaires. Seule « l’opposabilité des conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants », recommandée de longue date par la doctrine17, est consacrée. Mais l’inspiration doctrinale est également discrète puisqu’elle est passée sous silence par les juges18.
L’équilibre entre les intérêts en présence auquel parvient la solution est équivoque. Si la confirmation de la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation est regrettable (A), l’innovation à laquelle procède la chambre commerciale demeure bienvenue (B).
A – Une confirmation discutée
L’arrêt sous étude confirme sur deux aspects une jurisprudence établie (1) dont on peut néanmoins discuter le bien-fondé (2).
1 – Deux confirmations
Au point 12 de son arrêt Clamageran, la chambre commerciale rappelle les deux traits saillants de la jurisprudence admettant la responsabilité du contractant défaillant envers le tiers qui a subi un dommage par sa faute : l’identité des fautes contractuelle et délictuelle19 ; la nature délictuelle de l’action du tiers contre le contractant défaillant20.
L’affirmation de la nature délictuelle de l’action est ancienne21. Elle repose sur une application classique de la dualité des ordres de responsabilité contractuelle et délictuelle. En principe, seul le contractant créancier peut engager la responsabilité contractuelle de son débiteur défaillant. En l’absence de relation contractuelle entre contractant défaillant et tiers victime, la responsabilité relèverait de l’ordre extracontractuel par application du principe de non-option22.
En revanche, le principe de l’identité des fautes contractuelle et délictuelle n’a été reconnu que progressivement. Elle ne relève pas de l’évidence puisque le Conseil d’État continue de la refuser pour les contrats publics23 ; à l’étranger les réactions sont diverses24.
À l’origine, pour que le tiers victime d’une exécution contractuelle puisse obtenir réparation de son préjudice, la Cour de cassation exigeait qu’il démontre l’existence d’une faute délictuelle autonome25. Cette faute résidait dans la violation d’un devoir général de prudence et de diligence à part entière. Il s’agissait donc d’une « faute détachable du contrat ». Progressivement, les différentes chambres de la Cour de cassation se sont ralliées à la théorie de l’unité des fautes contractuelle et délictuelle26. La chambre commerciale a toutefois maintenu la dualité des fautes jusqu’en 200527.
Finalement, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a fini par être saisie de la question, affirmant en 2006 l’identité des fautes contractuelle et délictuelle28. Toutefois, rendue sans visa, et à l’époque sans motivation enrichie, la solution a suscité de très vives discussions doctrinales. Cette fragilité a eu pour conséquence la multiplication durant une dizaine d’années de décisions dissidentes29. C’est la raison pour laquelle l’assemblée plénière a de nouveau été réunie en 2020 pour confirmer sa jurisprudence par un arrêt Sucrerie de Bois Rouge, dont la motivation est cette fois-ci enrichie. Elle entremêle deux types d’arguments. Le premier repose sur une pesée des intérêts et affirme clairement la volonté de « faciliter l’indemnisation du tiers à un contrat30 ». Le second repose sur une interprétation de la loi. Au visa des articles 1165 et 1382 anciens, elle affirme que le « manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage ».
Dans l’arrêt du 3 juillet 2024, la chambre commerciale assume, en quelque sorte, l’héritage de l’assemblée plénière. Est ainsi assurée sa mission première d’harmonisation du droit et de sécurité juridique. Cependant, en se contentant pour toute motivation, au sens technique du terme, de citer les articles 1134, 1165 et 1382 anciens du Code civil, elle continue d’alimenter la discussion sur la pertinence de la solution.
2 – Deux sujets de discussion
La discussion porte non seulement sur l’identité des fautes contractuelle et délictuelle, mais aussi sur la nature de la responsabilité du contractant défaillant envers le tiers victime.
a – La discussion de l’identité des fautes
L’arrêt Myr’ho consacre le principe d’identité des fautes contractuelle et délictuelle31. La Cour de cassation s’en explique dans l’arrêt Sucrerie de Bois Rouge au visa de l’article 1165 ancien. Puisque le contrat ne doit pas nuire au tiers32 et qu’il leur est opposable, il serait logique que ces derniers, comme par un effet de symétrie, de parallélisme, puissent opposer aux parties leur manquement contractuel quand bien même il ne constituerait pas la violation d’un devoir général extracontractuel. L’argumentation technique est fragile et procède en réalité d’un choix assumé de politique jurisprudentielle : « Il importe de ne pas entraver l’indemnisation [du] dommage33 » subi par la victime.
Les explications techniques de l’identité des fautes sont moins convaincantes. Elles procèdent d’une évolution de l’appréhension de l’effet relatif du contrat et de la notion d’opposabilité.
Au lendemain de l’adoption du Code civil, la relativité du contrat fait l’objet d’une acception stricte, fondée sur l’autonomie de la volonté34. Toutefois, sous l’impulsion de Savatier, le XXe siècle a vu sortir le contrat de « son splendide isolement35 ». Si le contrat ne peut, en principe, ni obliger les tiers ni créer de droits à leur bénéfice, en revanche il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent invoquer son existence en tant que fait. De là, Weill distingue l’opposabilité du contrat aux tiers et l’opposabilité du contrat par les tiers36. Selon Duclos, l’opposabilité constitue la « qualité reconnue à un élément de l’ordre juridique par laquelle il rayonne indirectement hors de son cercle d’activité directe37 ».
Cependant, faire découler l’identité des fautes de « l’opposabilité du contrat par les tiers » est contestable pour deux raisons. Premièrement, elle repose sur une conception discutable de la notion d’opposabilité. En effet, un auteur a parfaitement mis en lumière la grande polysémie de la notion d’opposabilité ainsi que la variété de ses fonctions38. Or, si l’opposabilité du contrat par les tiers est indiscutable, c’est surtout en tant que « fait juridique ».
Le contrat est « une banque de données pour les tiers39 ». Par exemple, afin de prouver le prix de vente convenu entre les parties, une personne s’est vue reconnaître le droit d’invoquer les termes du contrat auquel elle était tierce40. C’est cette acception de l’opposabilité qui est retenue par l’actuel article 1200 du Code civil41.
Mais ce qui fonde, précisément, l’identité des fautes serait une acception particulière de l’opposabilité du contrat à savoir son opposabilité normative42. Le contrat produit des effets, lesquels sont constitutifs de normes juridiques43. En tant que norme juridique, le contrat serait opposable par les tiers à leurs émetteurs : les parties. Ainsi, l’inexécution du contrat constituerait, erga omnes, un fait illicite ; il pourrait donc être qualifié de faute délictuelle à l’égard du tiers. Cette approche est permise par la formulation générale de la responsabilité délictuelle44 et de la faute comme « manquement à une obligation préexistante45 ». C’est ce qui semble avoir été décidé par l’arrêt Sucrerie de Bois Rouge46. L’actuelle version de l’article 1200 du Code civil ne condamne pas une telle interprétation47. Le code ne limite pas ce qu’il faut entendre par la possibilité pour le tiers de se prévaloir du contrat. La possibilité de l’utiliser pour apporter la preuve d’un fait n’est qu’illustrative48.
La seconde critique qu’il est possible d’adresser au principe d’identité des fautes découlant de « l’opposabilité du contrat par les tiers », c’est son caractère attentatoire au principe de l’effet relatif des contrats ainsi qu’à l’autonomie de la volonté. La force obligatoire du contrat ne s’appliquant qu’entre les parties, un tiers ne devrait pas pouvoir invoquer le manquement à une norme contractuelle puisque, par définition, il n’y est pas partie. En permettant au tiers d’invoquer le manquement contractuel pour obtenir la réparation de son préjudice, voire d’exiger la cessation de l’illicite, le tiers est finalement presque en situation de demander le bénéfice du contrat49.
Selon une auteure, il serait plus exact de distinguer, au sein du contrat, quelle norme a été violée. S’il s’agit d’une norme purement contractuelle, alors la théorie de la faute détachable mérite d’être maintenue. S’il s’agit de la violation d’une obligation accessoire qui intègre dans le contenu du contrat un devoir général qui s’impose également entre tiers, alors la reconnaissance de l’identité des fautes serait justifiée50. D’autres propositions doctrinales ont été faites51.
Quant aux deux derniers avant-projets de réforme du droit de la responsabilité, ils proposent de revenir au principe de la relativité de la faute contractuelle.
Ces doutes sur les fondements techniques de l’identité des fautes se doublent d’une discussion sur la nature de la responsabilité qui en découle.
b – La discussion de la nature de la responsabilité
Quoique l’identité des fautes soit techniquement contestable, il faut reconnaître son intérêt pour le tiers victime. Toutefois, deux défauts en découlent. Le premier est de porter atteinte aux prévisions contractuelles du contractant défaillant. Le second est d’être source d’incohérence juridique : la faute découle d’un manquement contractuel, mais on applique à la responsabilité un régime délictuel.
Geneviève Viney a proposé de dépasser la discussion sur l’identité des fautes en démontrant qu’elle n’est acceptable qu’à la condition que la nature de la responsabilité qui en découle soit contractuelle52. Les deux dernières propositions de réforme du droit de la responsabilité civile s’inspirent de cette solution53.
Le principe serait le refus de l’identité des fautes délictuelle et contractuelle. Toutefois, à titre exceptionnel et à condition de prouver un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat54, le tiers victime pourrait engager la responsabilité contractuelle du contractant défaillant.
Ce n’est pas la voie adoptée par la chambre commerciale.
B – Une innovation bienvenue
L’innovation de l’arrêt réside dans l’affirmation de la possibilité, pour le contractant défaillant, d’opposer à la victime, tierce au contrat, les « conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants ». Il faut encore préciser le sens de l’innovation (1) et son fondement (2) afin d’apprécier l’étendue de son effet perturbateur sur la théorie générale (3).
1 – Le sens de l’innovation
La Cour régulatrice considère que le tiers victime du manquement contractuel peut certes agir en responsabilité délictuelle contre son auteur ; toutefois, il pourra se voir « opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants ». La Cour de cassation est malheureusement peu diserte sur le sens exact à donner à cette dernière expression. Il est regrettable que les juges n’aient pas profité de la motivation enrichie pour s’expliquer sur ce point.
Certes, cette expression n’est pas nouvelle puisqu’elle figurait déjà dans le projet de réforme du droit de la responsabilité civile de la Chancellerie55 ainsi que dans le projet de loi de 202056. Dans une formulation très approchante, elle apparaît déjà dans l’avant-projet Catala à l’article 134257 rédigé par le sous-groupe animé par Mme Viney58.
Malgré son imprécision, la notion de « conditions » renvoie au moins aux conditions de fond de la responsabilité contractuelle59. Il s’agit donc du triptyque : manquement contractuel, préjudice et lien de causalité. Cette opposabilité nouvelle des conditions de la responsabilité contractuelle modifie sensiblement les données du litige. En effet, malgré le rapprochement progressif des régimes de responsabilité contractuelle et extracontractuelle,60 quelques différences demeurent marquées. Pour échapper aux poursuites, le débiteur contractant pourra invoquer une exécution de ses obligations contractuelles conforme à son engagement. Ainsi, les clauses limitatives d’obligations seront opposables au tiers victime. Le débiteur pourra également exciper du caractère justifié de son inexécution contractuelle, par exemple en invoquant l’exception d’inexécution.
Quant à la notion de limite, elle renvoie de manière évidente à la mesure du préjudice réparable. Il s’agit d’une des différences les plus notables entre responsabilité civile délictuelle et contractuelle. Dans le premier cas, le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice61 ; dans le second, elle est limitée aux dommages et intérêts prévus ou prévisibles à la conclusion du contrat62. En outre, en matière contractuelle, les clauses limitatives de responsabilité sont en principe licites. Quoique l’attendu de principe ne le précise pas expressément, il ne fait aucun doute que la chambre commerciale étende l’opposabilité aux tiers des limites tant légales que conventionnelles. En effet, l’arrêt d’appel est précisément censuré pour avoir décidé que les clauses limitatives de responsabilité issues des conditions générales du contrat étaient inopposables au tiers victime.
L’innovation est véritable. Certes, la jurisprudence a déjà reconnu par le passé qu’une partie au contrat puisse opposer aux tiers qui agissent contre lui des clauses limitatives de responsabilité. Toutefois, jusqu’à présent, le domaine de cette solution était limité aux chaînes de contrats translatifs de propriété. En effet, dans ce cas, les actions directes entre deux maillons extrêmes de la chaîne sont de nature contractuelle63 puisque le demandeur est l’ayant cause du cocontractant de l’auteur du manquement contractuel. Le droit d’action, accessoire de la chose objet du contrat translatif de propriété, est transféré au sous-acquéreur. Ainsi, il est naturel que cet ayant cause soit tenu dans les mêmes termes que son auteur. Les conditions et limites de la responsabilité contractuelles lui sont alors logiquement applicables. Cette situation est bien distincte de la solution Clamageran où nul transfert de propriété n’intervient et où l’action en responsabilité entre tiers demeure délictuelle.
2 – Le fondement de l’innovation
Si le fondement technique de l’innovation est peu explicite, la Cour est plus diserte sur sa politique juridique.
Quant au fondement technique, la décision est rendue au triple visa des articles 1134, 1165 et 1382 anciens. Par rapport à l’arrêt Sucrerie de Bois Rouge, l’innovation consiste donc en l’ajout de la mention de la force obligatoire du contrat. Mais viser n’est pas expliciter. Comment donc le visa de l’article 1134 permettrait-il de justifier l’opposabilité aux tiers des conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants ?
Le raisonnement suivant pourrait être avancé. Les jurisprudences Myr’ho et Sucrerie de Bois Rouge ne peuvent se comprendre que si l’on admet l’opposabilité normative du contrat par les tiers. De cette opposabilité normative découle nécessairement, par un effet miroir, l’opposabilité des « conditions et limites de la responsabilité contractuelle » au tiers victime qui invoque le manquement contractuel.
C’est justement ce que consacre l’arrêt Clamageran. En quelque sorte, la solution bilatéralise l’exception à l’effet relatif du contrat. Pour le dire autrement, l’atteinte à l’effet relatif des conventions devrait jouer dans les deux sens : au détriment du contractant défaillant et au profit du tiers (principe d’identité des fautes) ; mais également en sens inverse : au profit du contractant défaillant et au détriment du tiers (opposabilité des conditions et limites). Tant que cette symétrie n’était pas respectée, le tiers victime jouissait de plus de droits que le créancier du contrat.
La chambre commerciale est en revanche plus loquace quant aux arguments de politique jurisprudentielle. Si l’arrêt Myr’ho a été rendu dans un style traditionnel64, la motivation enrichie65 de l’arrêt Sucrerie de Bois Rouge fondait expressément l’identité des fautes contractuelle et délictuelle sur la finalité indemnisatrice de la responsabilité civile66. Était notamment affirmé qu’il importait « de ne pas entraver l’indemnisation » du dommage subi par le tiers victime67.
En contrepoint, dans l’arrêt Clamageran, les juges prennent en compte l’intérêt du cocontractant défaillant dont la responsabilité est recherchée. Il « faut veiller à ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s’est engagé en considération de l’économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même [nous soulignons]68 ». Trois concepts sont tour à tour convoqués.
Le premier est le respect des prévisions du débiteur. Il s’agit du concept central. En effet, quoique soumis à des exceptions croissantes, le principe reste celui de l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle, notamment quant au choix du cocontractant et au contenu du contrat. On dit également que l’obligation contractuelle a pour source l’engagement du débiteur. Ce n’est pas sans rappeler le fait que « le contrat constitue un acte de prévision69 » et pourrait également évoquer le principe de sécurité juridique. Ce principe a d’ailleurs été rappelé au frontispice du rapport au président relatif à l’ordonnance du 10 février 201670.
Le deuxième concept est lié au premier. Le débiteur s’engage en considération de « l’économie du contrat ». La notion est fréquemment utilisée en matière de révision pour imprévision71 ou en matière d’ensemble indivisible72. Toutefois, elle n’est pas des plus claires73. Selon le Conseil constitutionnel, révélatrice « de la volonté commune des parties ou de l’équilibre économique du contrat, la notion s’imposera de façon solide à titre d’élément essentiel d’une analyse unitaire et globale, cohérente et concrète, utile et finaliste des clauses du contrat74 ».
Le troisième concept se rattache à la justice commutative75 : il s’agit de ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier. En effet, l’arrêt sous étude vient empêcher que le tiers victime puisse, par exemple, réclamer la réparation de son entier préjudice alors que le cocontractant, lui aussi victime de l’inexécution, ne peut obtenir réparation que dans la limite de ce qui est contractuellement prévu ou de ce qui était prévisible76.
Ainsi, l’argument développé au point 13 amalgame argument conséquentialiste et théorie générale du contrat. D’aucuns pourraient y lire du jusnaturalisme ou plus simplement de « l’équité77 ». Le résultat, en effet, consiste à écarter l’application de la règle technique – inopposabilité des conditions et limites de la responsabilité contractuelle du fait de la nature délictuelle de la responsabilité et de l’effet relatif du contrat – en se fondant sur le caractère injuste de cette solution pour le contractant défaillant.
Il apparaît ainsi qu’il est possible de procéder à une balance des intérêts sans nécessairement passer par un contrôle de proportionnalité au sens strict du terme. Ainsi après avoir mis, jusqu’à présent, l’accent sur l’objectif d’indemnisation du tiers victime78, la chambre commerciale, par un heureux mouvement de balancier, procède à un rééquilibrage des intérêts en présence. Mais le régime mis en œuvre par l’arrêt déséquilibre l’échafaudage du dualisme des ordres de responsabilité.
3 – Une innovation perturbatrice : l’opposabilité aux tiers des clauses limitatives de responsabilité civile délictuelle
L’innovation porte un coup d’estoc supplémentaire à la cohérence du droit français de la responsabilité, édifice déjà vacillant79, certes, mais que les projets de réforme s’efforcent néanmoins de consolider80. L’incohérence tient à l’affirmation de la nature délictuelle de l’action en réparation tout en admettant que le contractant défaillant puisse opposer au tiers victime les conditions et limites de la responsabilité contractuelle.
En effet, le droit français de la responsabilité civile repose sur une summa divisio entre responsabilité contractuelle et extracontractuelle. Ce dualisme est plus ou moins bien gardé par un principe de non-option81. Ce principe interdit en théorie à la victime déclarée d’agir sur le fondement extracontractuel lorsque les conditions de la responsabilité contractuelle sont remplies. L’objectif est d’empêcher que le demandeur fonde son action sur le régime extracontractuel afin de contourner les clauses contractuelles qu’il estime entraver ses prétentions, ruinant ainsi les prévisions du contractant. Pour conclure cette présentation extrêmement schématique, il faut encore préciser que les clauses exonératoires et limitatives de responsabilités extracontractuelles sont illicites dans l’état du droit positif français82. En droit prospectif, elles pourraient devenir licites à une exception notable : les clauses limitatives de responsabilité délictuelle demeureraient prohibées83. Ainsi, le présent arrêt, en rendant opposables les clauses limitatives de responsabilité au tiers agissant sur le fondement délictuel, trouble sensiblement l’état du droit positif et se démarque également des deux derniers projets de réforme.
Comment apprécier cette innovation perturbatrice ? On pourrait, avec Gény, en faire une lecture optimiste : « Ce n’est pas à la vie sociale de plier devant la théorie juridique. C’est la théorie, au contraire, qui doit s’accommoder aux faits et aux exigences de la vie84 ».
On pourrait cependant, avec Portalis, en faire une lecture pessimiste : « S’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre (…) en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même85 ».
II – Un équilibre précaire
La solution Clamageran fait indubitablement figure d’institution nouvelle. Voici son avantage : rééquilibrer les intérêts du tiers victime et du contractant défaillant. Mais quels sont « les dangers de la correction même » que Portalis nous invite à identifier ?
La solution risque de désavantager injustement le tiers victime pour trois raisons. En l’état, il est à redouter qu’il souffre d’éventuelles clauses aménageant les conditions et limites de la responsabilité contractuelle sans pouvoir en exiger le contrôle judiciaire ; qu’il subisse une atteinte excessive à son droit d’agir en justice ; qu’il ne puisse obtenir la réparation intégrale de son préjudice alors même que le débiteur contractuel manque à un devoir général.
Il apparaît donc que la pertinence de la jurisprudence Clamageran devrait être conditionnée à la précision des conditions et limites opposables au tiers (A), ainsi qu’à la clarification de l’option laissée au tiers victime (B).
A – Des conditions et limites à préciser
Si les juges ont explicité les raisons de l’innovation, ils ont passé sous silence sa portée. En examinant les conséquences pratiques de l’innovation, il importe d’envisager la question du contrôle judiciaire, à la demande du tiers, des clauses aménageant les conditions et limites de la responsabilité contractuelle qu’on lui oppose, mais qui s’avéreraient illicites (1). De plus, à la réflexion, toutes « les conditions de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants » ne méritent pas de pouvoir être opposées au tiers victime (2).
1 – Proposition de contrôle des clauses aménageant « les conditions et limites »
Traditionnellement, la responsabilité civile extracontractuelle est rétive aux aménagements conventionnels86, contrairement à la responsabilité contractuelle qui peut être aménagée contractuellement par le biais de diverses clauses87. Par exemple, l’indemnité de réparation peut être restreinte par le jeu d’une clause limitative de responsabilité ou augmentée par le jeu d’une clause pénale.
Toutefois, ces clauses peuvent être soumises au contrôle du juge sur de nombreux fondements et notamment88 l’ordre public et le déséquilibre significatif, au sens large, entre les droits et obligations des parties. En effet, le contrôle de la validité des clauses limitatives d’obligations et/ou de responsabilité s’opère, notamment, sur le fondement des articles 1170 et 1171 du Code civil89, de l’article L. 212-1 du Code de la consommation ou encore de l’article L. 442-1 et suivants du Code de commerce90. Le juge détient également un pouvoir modérateur de la clause pénale91.
Ainsi, la question se pose : dans quelle mesure le tiers peut-il exiger du juge le contrôle des clauses aménageant les conditions et limites de la responsabilité contractuelle qui lui sont opposées par le débiteur défaillant ?
Le contrôle apparaît légitime : si le tiers victime ne doit pas pouvoir obtenir plus de droits que le créancier contractuel, il n’est pas justifié qu’il en ait moins.
Le régime du contrôle apparaît néanmoins délicat pour deux raisons.
Premièrement, il apparaît délicat d’imaginer que le tiers victime puisse se voir reconnaître qualité à agir en nullité de la clause irrégulière ou en constatation de son réputé non-écrit. Certes, le droit civil l’admet en cas de nullité absolue92 et le refuse en cas de nullité relative93. Néanmoins, en droit économique (consommation et concurrence), le dualisme est malmené. En effet, les finalités sont souvent mixtes (protection de la partie faible et protection du marché) et sont protégées par « un régime de nullité absolue atténuée ». Seules deux catégories de personnes ont alors droit d’agir : la partie protégée94 (pour éviter les actions en nullité opportunistes mise en œuvre par la partie qui a abusé de son pouvoir économique) et les organes habilités à défendre un intérêt collectif (comme les associations de défense des consommateurs95) ou l’intérêt général (ministre de l’Économie, ministère public96 ou DGCCRF97). Or, le tiers victime d’un manquement contractuel ne sera jamais la personne visée par l’ordre public de protection (car il n’est pas par définition le « contractant faible »), mais il n’est pas non plus habilité à défendre un intérêt collectif. Donc, sauf les cas où la clause litigieuse serait affectée d’une nullité absolue, le tiers victime n’aurait pas qualité à agir pour en demander le contrôle.
Néanmoins, il est difficilement acceptable que le droit à réparation du tiers victime dépende du bon vouloir du créancier contractant. Le juste milieu semble résider une fois de plus dans la notion d’inopposabilité. Le tiers victime devrait pouvoir demander que la clause contractuelle illicite ne lui soit pas opposable.
Deuxièmement, si le contrôle de la licéité de la clause nécessite l’appréciation de la qualité de la personne dont elle limite les droits, le contrôle devrait-il s’apprécier à l’aune de la qualité du tiers victime ou bien du contractant ? Pour le dire autrement, si le tiers victime et le créancier contractant n’ont pas la même qualité et donc n’entrent pas dans le champ d’application des mêmes règles protectrices, à l’aune de quelle qualité le juge doit-il apprécier l’opposabilité de la clause ? Par exemple, lorsque les cocontractants sont des professionnels et le tiers victime est un particulier. Ce dernier peut-il invoquer la sanction des clauses abusives ou bien doit-il nécessairement, pour faire sanctionner le déséquilibre significatif, agir sur le fondement de l’article L. 442-1 du Code de commerce ? Il serait logique que le contrôle des dispositions contractuelles litigieuses se fasse à l’aune de la qualité du créancier contractant et non du tiers victime. En effet, les limites qu’oppose le débiteur contractant sont issues du contrat et donc leur licéité dépend de la qualité du créancier ; celle du tiers victime est indifférente.
2 – Propositions de restriction des conditions et limites opposables
L’arrêt ne précise pas ce qu’il faut entendre par « conditions de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants ». S’agit-il, stricto sensu, uniquement des conditions de fond de la responsabilité contractuelle98 ? S’agit-il, largo sensu, des conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle ? S’agit-il également des clauses contractuelles aménageant ces conditions ?
Selon nous, il y aurait une contradiction insurmontable à affirmer que le fondement de l’action du tiers victime serait la responsabilité délictuelle, mais que cette action demeurerait soumise aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle (a). À l’inverse, il nous semble pertinent que l’action en réparation, étant fondée sur la responsabilité délictuelle, continue d’en épouser les conditions processuelles (b).
a – Justifications de l’inapplication au tiers victime des conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle
Le rejet de la soumission de l’action en responsabilité délictuelle aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle est justifié par trois arguments.
Premièrement, le créancier contractant ne peut pas, en principe, agir en responsabilité contractuelle contre son débiteur avant de l’avoir mis en demeure d’exécuter son obligation99. Or, il apparaît peu pertinent que le tiers victime soit contraint de mettre en demeure le débiteur contractant d’exécuter son obligation avant de pouvoir agir en responsabilité contre lui alors qu’il n’a aucun titre pour se faire. Le tiers victime n’étant pas lié contractuellement au débiteur défaillant, il n’a pas de droit à l’exécution forcée du contrat.
Deuxièmement, si l’action en responsabilité contractuelle est susceptible de nombreux aménagements tout aussi contractuels, l’action en responsabilité civile extracontractuelle, nimbée d’ordre public100, y est rétive. Cela peut s’expliquer par l’intérêt supérieur donné à la victime en dehors des rapports contractuels.
Sur le plan des droits fondamentaux, on peut admettre que le contractant consente à une restriction de sa liberté du droit d’agir en justice : clause de réduction de prescription ; clause compromissoire ; clause attributive de juridiction. En revanche, l’application d’une restriction contractuelle au droit d’agir d’un tiers pourrait constituer une atteinte au droit à l’accès au juge, notamment protégé par l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Troisième argument, le droit d’agir en justice constitue une prérogative légale propre à chacun101. Or, en l’espèce, le tiers victime d’une inexécution contractuelle n’exerce pas les droits du créancier contractant au motif qu’il en serait l’ayant cause. Il faut donc se garder de raisonner par analogie avec les chaînes de contrats translatifs de propriété. Certes, d’une « manière générale (…), les actions se transmettent entre vifs ou à cause de mort avec le droit subjectif ou la prérogative juridique dont elles assurent la sanction. (…) En outre, la transmission s’opère de plein droit en présence d’une chaîne de contrats translatifs de propriété102 ». Dans ce cas, l’action en responsabilité contre le fabricant est transmise en tant qu’accessoire du bien vendu au sous-acquéreur. Ce dernier peut donc se voir opposer les « clauses de procès », attributives de compétence103 ou compromissoires104, qui ont été stipulées dans le contrat initial. En effet, ces clauses sont également transmises avec la propriété du bien en tant qu’accessoire.
Rien de tel dans les faits de l’arrêt Clamageran. Du fait de sa qualité initiale de tiers au contrat et de l’absence de transmission du droit d’agir accessoire à un bien dont la propriété aurait été transférée, l’action du tiers victime lui est propre : elle demeure donc de nature délictuelle. L’opposabilité au tiers victime des conditions et limites de la responsabilité contractuelle n’implique nullement que les conditions de mise en œuvre de l’action soient également soumises au régime contractuel.
b – Les conséquences de l’application au tiers des conditions de mise en œuvre de la responsabilité délictuelle
L’application des conditions de mise en œuvre de la responsabilité extracontractuelle aura pour conséquences de rendre inapplicables au tiers victime les conditions légales de mise en œuvre de l’action en responsabilité contractuelle.
Quant aux conditions légales, le tiers victime sera dispensé de mettre en demeure le contractant défaillant préalablement à l’action en responsabilité délictuelle. La désignation du tribunal compétent doit encore être soumise aux conditions de l’action en responsabilité délictuelle. Plus précisément, la victime devra saisir le tribunal compétent compte tenu de sa propre qualité et non pas de celle des parties au contrat. À défaut, le tiers victime non commerçant pourrait être contraint de saisir le tribunal de commerce105 alors que le droit commercial, surtout jurisprudentiel, n’admet cette nécessité que dans des cas très résiduels106. Le raisonnement doit être poursuivi en matière de compétence territoriale et admettre que le tiers victime puisse saisir la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi107.
Mais la distinction entre conditions de fond et conditions de mise en œuvre de la responsabilité permet surtout d’écarter l’application au tiers victime des clauses contractuelles aménageant les secondes. Sont ici visées les clauses attributives de compétences juridictionnelles, les clauses d’arbitrage ou encore les clauses abrégeant la prescription de l’action.
Certes, une attention particulière peut être utilement portée à la jurisprudence relative aux clauses encadrant l’action en justice entre contractants. Il est admis en jurisprudence que la clause contractuelle instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent108. Cette clause est « transmise » avec le droit qu’elle affecte, en tant qu’accessoire de ce dernier109. Ainsi, en cas de recours subrogatoire, le subrogé pourra se voir opposer la clause de médiation conclue entre le subrogeant et le tiers débiteur110.
Mais lorsque le tiers n’est pas l’ayant droit du créancier au contrat, la théorie de l’accessoire ne peut pas trouver à s’appliquer111. Il est donc justifié de considérer que, lorsque le tiers victime n’est pas l’ayant droit du créancier contractuel, le contractant défaillant ne peut pas lui opposer les aménagements contractuels de la mise en œuvre de la responsabilité. En la matière l’effet relatif du contrat doit jouer à plein.
B – L’option du tiers victime à clarifier
La règle prétorienne commentée se démarque avec force des deux derniers projets de réforme qui prévoient, sous certaines conditions, la possibilité pour le tiers victime d’agir sur le fondement contractuel112. En principe, l’action du tiers serait fondée sur le régime délictuel, consommant ainsi un bris de la jurisprudence Myr’ho. Il devrait alors prouver un manquement à un devoir général, mais en contrepartie il sera indemnisé de l’intégralité de son préjudice.
Toutefois, dans le projet de la Chancellerie, le tiers victime aurait une véritable option entre le régime délictuel et contractuel à la condition de prouver « un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat113 ». Quoiqu’en apparence proche, la proposition de loi de 2020 supprime l’option et prévoit un principe de subsidiarité. En principe l’action en responsabilité du tiers victime est délictuelle mais si deux conditions cumulatives sont réunies alors elle doit nécessairement agir sur le fondement contractuel. La première condition est l’intérêt légitime à la bonne exécution du contrat ; la seconde est de ne disposer d’aucune autre action en réparation pour le préjudice subi114.
Chacune à leur manière, ces propositions manifestent une recherche scrupuleuse d’équilibre entre les intérêts en présence : à la preuve facilitée du manquement contractuel répond l’application du régime contractuel et notamment l’opposabilité des conditions et limites de la responsabilité contractuelle ; à la preuve plus difficile du manquement délictuel répond la réparation du préjudice intégral.
En apparence, l’arrêt Clamageran n’ouvre pas d’option au tiers victime : celui-ci doit nécessairement agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Est-ce à dire que toute idée d’option serait pour autant interdite ?
Nous ne le pensons pas. En effet, au paragraphe 13, il est tissé un lien entre l’invocation du manquement contractuel et l’opposabilité des conditions et limites du contrat. En conséquence, si le tiers victime n’invoquait pas le manquement contractuel mais un manquement à un devoir général, alors le contractant défaillant ne pourrait plus lui opposer les conditions et limites du contrat. Ainsi, on pourrait imaginer l’existence d’une option non plus entre deux fondements d’action en responsabilité – contractuel ou délictuel – mais entre deux types de fautes – manquement contractuel ou manquement à un devoir général.
Conclusion
L’équité est donc le grand point. Qu’importe le flacon ?
Les articles 1234 des deux derniers projets de réforme du droit de la responsabilité apparaissent plus cohérents avec la conception dualiste des ordres de responsabilité civile. Néanmoins, le temps du juge n’est pas celui du législateur. Il est légitime que le premier tente de faire évoluer la jurisprudence Myr’ho/Bois Rouge dans l’attente d’un bris par le second.
Finalement, l’enjeu n’est plus la cohérence globale d’une hypothétique responsabilité dualiste à l’hermétisme parfaitement assuré par le principe de non-option. L’enjeu est de garantir l’efficacité de l’équilibre recherché tant par la doctrine que par les projets de réforme entre les intérêts du tiers victime et du débiteur contractant.
À ce titre, la solution Clamageran pourrait s’avérer beaucoup plus favorable aux victimes que les deux derniers projets de réforme. En soustrayant systématiquement l’action en responsabilité aux conditions de mise en œuvre du régime contractuel, c’est-à-dire en appliquant les conditions de mise en œuvre de la responsabilité extracontractuelle115, la solution préserverait un droit d’action autonome du tiers victime. Il le mettrait hors d’atteinte des aléas de la qualité des contractants et de leurs stipulations contractuelles. Par ailleurs, implicitement l’arrêt consacre un droit d’option de la victime sans le restreindre par les notions d’intérêt légitime à la bonne exécution du contrat116 ni imposer la subsidiarité de l’action contractuelle par rapport à l’action en responsabilité extracontractuelle117.
Mais pour que l’équilibre recherché soit atteint, la solution posée par l’arrêt Clamageran devrait être interprétée de la manière suivante :
Notes de bas de pages
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1.
https://bjda.fr 2024, n° 94, note M. Eliphe ; Resp. civ. et ass. 2024, comm. 189, note C. Bloch ; Com. com. élec. 2024, n° 11, p. 39, note G. Loiseau ; Contrats conc. consom. 2024, n° 10, p. 11, note L. Leveneur ; RLDA 2024, n° 207, p. 26, note C. François ; D. 2024, p. 1607, note D. Houtcieff ; D. 2024, p. 1577, note A. Gouëzel ; GPL 17 sept. 2024, n° GPL467a4, note S. Gerry-Vernières.
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2.
Ce débat classique évoque la célèbre disputatio entre B. Chénot, conseiller d’État et J. Rivero, professeur de droit public. V. P. Michel, « De l’intérêt des catégories juridiques : la controverse entre Jean Rivero et Bernard Chenot », Les Cahiers Portalis, 2019/1, n° 6, p. 137 et s.
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3.
On peut néanmoins s’interroger sur un fondement alternatif. En effet, les relations entre les trois sociétés évoquent la stipulation pour autrui (C. civ., art. 1205 et s.). La société Aetna Group SPA étant le bénéficiaire ; Aetna Group France le stipulant et Clamageran le promettant. Si une telle qualification avait été retenue alors le prestataire promettant aurait été tenu contractuellement envers le bénéficiaire et c’est le stipulant qui serait alors demeuré tiers au contrat.
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4.
La société Clamageran reproche à la cour d’appel d’avoir modifié le fondement juridique des prétentions des parties sans avoir rouvert les débats, mais en se contentant d’inviter les parties à présenter une note en délibérer. La Cour de cassation rétorque que les juges du fond ont fait usage de leur pouvoir de relever d’office un nouveau fondement juridique à l’action engagée par l’assureur au cours du délibéré et que les parties ont pu s’expliquer contradictoirement sur ce dernier sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la réouverture des débats. Les alinéas 1 et 2 de l’article 12 du Code de procédure civile habilitent le juge à relever d’office les moyens de droit et de requalifier les faits invoqués par les parties. Par exception, « il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat » (CPC, art. 12, al. 3).
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5.
Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, chap. IV, sect. 5, sous-sect. 5.
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6.
Même si elle a été rendue sur l’empire du droit antérieur à la réforme de 2016, la portée de la décision intéresse néanmoins le droit positif puisque l’ordonnance de 2016, malgré un toilettage formel de l’ancien article 1165, ne confirme pas plus qu’elle n’infirme la jurisprudence Myr’ho / Bootshop, v. F. Chénedé, Droit des obligations et des contrats, 2023/2024, Dalloz référence, p. 140-141 ; G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, 3e éd., 2024, Dalloz, p. 592 ; O. Deshayes, T. Génicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 486 ; C. Jamin et N. Dissaux, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2016, Dalloz, p. 101-103.
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7.
Cass. com., 3 juill. 2024, n° 21-14.924, pt. 12 : « [Le] tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage [arrêt Myr’ho] et que s’il établit un lien de causalité entre ce manquement contractuel et le dommage qu’il subit, il n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement [arrêt Sucrerie de Bois Rouge] ».
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8.
G. Canivet et N. Molfessis, « La politique jurisprudentielle », in Mélanges en l’honneur de. J. Boré, la création du droit jurisprudentiel, 2007, Dalloz, n° 4 : la politique jurisprudentielle « veut être le souffle qui guide la jurisprudence (…) la politique jurisprudentielle se veut aussi facteur d’unité, incitant les juges à suivre un même sillon plutôt que de cultiver les divergences et dissonances de solutions. Pour qu’il n’y ait qu’une jurisprudence, on estimera alors qu’il faut une politique jurisprudentielle qui trace la voie, puisse être comprise, admise et, par conséquent, suivie ». Par ailleurs, il ne faut pas confondre la politique jurisprudentielle et la doctrine de la Cour de cassation, laquelle désigne « le contenu d’une décision rendue par la Cour de cassation sur premier pourvoi lorsque l’affaire revient, en second pourvoi, devant les juges de cassation : la question est alors de savoir si les juges du fond ont suivi la doctrine la Cour de cassation ».
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9.
Cass. com., 18 janv. 2017, nos 14-16.442 et 14-18.832 : RDC sept. 2017, n° RDC114k0, note J.-S. Borghetti ; AJ contrat 2020, p. 80, note M. Latina.
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10.
Cass. com., 3 juill. 2024, n° 21-14.924, pt. 13.
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11.
Par ailleurs, dans les décisions Myr’ho et Sucrerie de Bois Rouge l’opposabilité des limites contractuelles à l’indemnisation du préjudice subi par était un des enjeux factuels du litige. Toutefois, leur inopposabilité devait naturellement découler de l’affirmation de la nature délictuelle de l’action en responsabilité retenue par la Cour de cassation. La haute cour ne s’était pas expressément prononcée sur la question. Si la Cour avait considéré qu’il s’agissait d’un revirement, elle l’aurait en principe précisé comme le recommande le Guide de la motivation enrichie, sept. 2023, p. 34.
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12.
O. Deshayes, « La nouvelle mouture de l’avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile : retour sur la responsabilité des parties à l’égard des tiers », RDC juin 2017, n° RDC114d8.
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13.
M. Bacache, « Relativité de la faute contractuelle et responsabilité des parties à l’égard des tiers », D. 2016, p. 1454.
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14.
Avant-projet de la Chancellerie de réforme du droit de la responsabilité civile, 13 mars 2017, art. 1234 et proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, n° 678, 29 juill. 2020, art. 1234.
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15.
Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 : GAJC, t. 2, 14e éd., 2024, Dalloz, n° 206-207 ; D. 2006, p. 2825 et s., note G. Viney.
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16.
Contre l’identité des fautes : M. Fabre-Magnan, Les obligations, t. 1, 7e éd., 2024, PUF, n° 813 ; C. Larroumet et S. Bros, Les obligations. Le contrat, 10e éd., 2021, Economica, n° 714 ; P. Malaurie, L. Aynèse et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 12e éd., 2022, LGDJ, n° 643 ; P.-Y. Gautier, C. Grimaldi, P. Jacques, J.-L. Sourioux, P. Stoffel-Munck, G. Wicker et R. Wintgen, « Contrat sans frontières, Débats », RDC 2007, p. 557 et s. ; D. Houtcieff, Droit des contrats, 8e éd., 2024, Bruylant, n° 896-1 – Pour l’identité des fautes à condition que le régime de responsabilité soit contractuel, G. Viney, Introduction à la responsabilité, 4e éd., 2019, LGDJ, n° 357, EAN : 9782275045368.
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17.
Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 : D. 2006, p. 2825 et s., note G. Viney.
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18.
Alors même que le Guide de la motivation enrichie prévoit qu’elle puisse être mentionnée dans la motivation : C. Cass., Guide de la motivation enrichie, sept. 2023, p. 26 : IV « Les éléments de motivation enrichie », C. « la doctrine ».
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19.
S’il « établit un lien de causalité entre ce manquement contractuel et le dommage qu’il subit, il n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (Cass. ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, P) ».
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20.
Le « tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 : Bull. ass. plén, n° 9) ».
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21.
Req. 23 févr. 1897 : GAJC, 14e éd., 2024, Dalloz, p. 326.
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22.
La solution est classique : civ., 11 janv. 1922 : GAJC, t. 2, 13e éd., 2015, Dalloz, n° 182 – Elle a été rappelée récemment : Cass. 2e civ., 21 déc. 2023, nos 21-22.239 et 21-23.817, B.
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23.
CE, 11 juill. 2011, n° 339409 : D. 2012, p. 653, obs. G. Viney. « Les tiers à un contrat administratif, hormis les clauses réglementaires, ne peuvent en principe se prévaloir des stipulations de ce contrat » – La solution pourrait néanmoins évoluer en matière de groupe de contrats : CE, 11 oct. 2021, n° 438872, sté CMEG, P.
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24.
P. Stoffel-Munck, « La responsabilité délictuelle pour manquement contractuel : quelle perspective en l’absence de réforme ? », in Mélanges en l’honneur de P. Delebecque, 2024, Dalloz, p. 961 et s., spéc. p. 962 ; P. Ancel, « Retour sur l’arrêt de l’AP du 6 oct. 2006 à la lumière du droit comparé », in Mélanges en l’honneur de G. Viney, 2008, LGDJ, p. 23.
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25.
Cass. 1re civ., 7 nov. 1962 : Bull. civ. I, n° 465.
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26.
Cass. 1re civ., 15 déc. 1998, nos 96-21.905 et 96-22.440 : Bull. civ. I, n° 368 ; Cass. 3e civ., 27 sept. 1984, n° 82-16.726 : Bull. civ. III, n° 159 ; Cass. 2e civ., 28 mars 2002, n° 00-11.293 : Contrats conc. consom. 2002, n° 105, note L. Leveneur.
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27.
Cass. com., 5 avr. 2005, n° 03-19.370, PB.
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28.
Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 : Bull. ass. plén, n° 9.
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29.
Cass. 3e civ., 22 oct. 2008, n° 07-15.583 ; Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, n° 10-17.691 ; Cass. com., 18 janv. 2017, nos 14-16.442 et 14-18.832 ; Cass. 3e civ., 18 mai 2017, n° 16-11.203.
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30.
Cass. ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, pt. 14.
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31.
« Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».
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32.
Sur l’influence de Pierre Sargos sur l’interprétation du mot « nuire » et son influence sur la consécration de l’identité des fautes, v. Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, n° 99-12.135, rapp. P. Sargos – Adde R. Wintgen, Étude critique de la notion d’opposabilité, J. Ghestin (préf.), 2004, LGDJ, p. 287 et s.
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33.
Cass. ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, pt. 18.
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34.
En effet, l’ancien article 1165 dispose que les « conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 » – C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, t. 4, 4e éd., 1871, Cosse, § 346 : « Les contrats ne peuvent, ni être opposés aux tiers, ni être invoqués par eux, art. 1165 » – C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 2, 1869, Cosse, p. 40 : « Les conventions ne tirant leur force obligatoire que du consentement des parties, il est tout simple qu’elles n’aient d’effet qu’entre ceux qui y ont, en effet, donné leur consentement ».
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35.
R. Savatier, « Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats », RTD civ. 1934, p. 525 : les contrats ne concernent pas seulement les parties qui l’ont conclu « mais à certains points de vue la société [toute entière] et, par conséquent, les tiers ».
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36.
A. Weill, La relativité des conventions en droit privé français, thèse Strasbourg, 1938, nos 100 et s. et 272 d’après P.-Y. Gauthier, « Alex Weill », RDC déc. 2018, n° RDC115s2, spéc. nos 4 et s.
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37.
J. Duclos, L’opposabilité(Essai d’une théorie générale), D. Martin (préf.), 1984, LGDJ, n° 2-1.
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38.
F. Masson, « L’opposabilité : unité ou pluralité ? », RTD civ. 2021, p. 775 et s.
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39.
P. Delebecque, 1996, Defrénois, p. 1992.
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40.
Cass. 3e civ., 13 avr. 2023, n° 19-24.060, P, cité par F. Chénedé, Droit des obligations et des contrats, 3e éd., 2023/2024, Dalloz, n° 125, p. 163.
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41.
« Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat. Ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait [nous soulignons] ».
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42.
F. Masson, « L’opposabilité : unité ou pluralité ? », RTD civ. 2021, p. 775 et s.
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43.
P. Ancel, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTD civ. 1999, p. 771.
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44.
C. civ., art. 1240.
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45.
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil. t. II, 4e éd., 1907, n° 863.
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46.
Cass. ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, pt. 20 : « Le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage ».
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47.
F. Chénedé, Droit des obligations et des contrats, 2023/2024, Dalloz référence, p. 140-141 ; G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, 3e éd., 2024, Dalloz, p. 592 ; O. Deshayes, T. Génicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 486 ; C. Jamin et N. Dissaux, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2016, Dalloz, p. 101-103.
-
48.
C. civ., art. 1200, al. 2 : « Ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait [nous soulignons] ».
-
49.
GAJC, 13e éd., 2015, Dalloz, p. 234 et s.
-
50.
M. Bacache-Gibeili, La relativité des conventions et les groupes de contrats, thèse Paris II, nos 57 et s., p. 54 et s. – La proposition fait écho aux critiques du forçage du contrat aboutissant à la contractualisation de devoirs généraux, notamment l’obligation de sécurité. V. J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, 18e éd., 1994, PUF, n° 295 : « C’est artifice de faire entrer là-dedans des bras cassés et des morts d’hommes ; les tragédies sont de la compétence des articles 1382 et suivants ».
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51.
P. Stoffel-Munck, « La responsabilité délictuelle pour manquement contractuel : quelle perspective en l’absence de réforme ? », in Mélanges en l’honneur de P. Delebecque, 2024, Dalloz, p. 961 et s., spéc. p. 971.
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52.
G. Viney, Introduction à la responsabilité, 4e éd., 2019, LGDJ, n° 357, EAN : 9782275045368.
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53.
Projet de réforme de la responsabilité civile 13 mars 2017, dit projet de la Chancellerie, art. 1234, al. 1er, J.-S. Borghetti, « Un pas de plus vers la réforme de la responsabilité civile », D. 2017, p. 770 ; proposition de loi déposée au Sénat le 29 juillet 2020, art. 1234, al. 1er.
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54.
Toutefois, la proposition de loi déposée au Sénat le 29 juillet 2020, art. 1234, alinéa 2nd, est plus restrictive puisque, outre l’exigence d’un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat, il doit également prouver ne disposer « d’aucune autre action en réparation pour le préjudice subi du fait de sa mauvaise exécution ».
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55.
Art. 1234, al. 2.
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56.
Art. 1234, al. 2.
-
57.
Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, 22 sept. 2005, p. 144 et s.
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58.
G. Viney, « La responsabilité du débiteur à l’égard du tiers auquel il a causé un dommage en manquant à son obligation contractuelle », D. 2006, p. 2825 : « Dans cette hypothèse, il nous semble, par conséquent, nécessaire de poser en principe que le tiers est soumis à toutes les limites et conditions qui s’imposent au créancier pour obtenir réparation de son propre dommage ».
-
59.
L’opposabilité des conditions de mise en œuvre de l’action en responsabilité sera discutée infra.
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60.
G. Viney, Introduction à la responsabilité, 4e éd., 2019, LGDJ, p. 401 et s., EAN : 9782275045368.
-
61.
Cass. 2e civ., 4 févr. 1982, n° 80-17.139.
-
62.
C. civ., art. 1231-3.
-
63.
Cass. ass. plén., 7 févr. 1986, n° 84-15.189, Protexulate ; Cass. 1re civ., 23 juin 1993, n° 91-18.132, GMC.
-
64.
P. Ancel, « Retour sur l’arrêt de l’assemblée plénière du 6 octobre 2006, à la lumière du droit comparé », in Mélanges en l’honneur de G. Viney, 2008, LGDJ, p. 36-37. L’auteur mettait déjà justement en évidence que la motivation synthétique devenait de moins en moins satisfaisante à mesure que la Cour de cassation affirmait son pouvoir créateur.
-
65.
Initiée par Bertrand Louvel, recommandée par le rapport Jean-Paul Jean et généralisée sous la présidence Arens, la motivation enrichie donne à lire « des éléments traditionnellement passés sous silence et qui les articulent de manière qu’ils constituent les maillons intermédiaires du raisonnement justifiant le principe posé dans la décision ». C. Cass. Guide de la motivation enrichie, sept. 2023, p. 8.
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66.
Cass. ass. plén., 3 janv. 2020, n° 17-19.963, B, pt. 14 : « [Le] principe ainsi énoncé était destiné à faciliter l’indemnisation du tiers à un contrat qui, justifiant avoir été lésé en raison de l’inexécution d’obligations purement contractuelles, ne pouvait caractériser la méconnaissance d’une obligation générale de prudence et diligence, ni du devoir général de ne pas nuire à autrui ».
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67.
Cass. ass. plén., 3 janv. 2020, n° 17-19.963, pt 21.
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68.
Cass. com., 3 juill. 2024, n° 21-14.924, pt 13.
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69.
M. Hauriou, Principes de droit public, 2e éd., 1916, L. Tenin, p. 201 : « L’entreprise la plus hardie qui puisse se concevoir pour établir la domination de la volonté humaine sur les faits, en les intégrant d’avance dans un acte de prévision » – H. Lécuyer, « Le contrat : acte de prévision », in Mélanges en l’honneur de F. Terré, 1999, Dalloz/PUF/éd. JCl, p. 643 et s.
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70.
Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
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71.
Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, chap. IV, sect. 1 ; sous-sect.1 : la force obligatoire. En droit administratif il sert à caractériser l’imprévision : CE, 30 mars 1916, Cie générale d’éclairage de Bordeaux : « Par suite du concours des circonstances ci-dessus indiquées, l’économie du contrat se trouve absolument bouleversé ; que la Compagnie est donc fondée à soutenir qu’elle ne put être tenue d’assurer, aux seules conditions prévues à l’origine, le fonctionnement du service tant que durera la situation anormale ci-dessus rappelée ».
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72.
Cass. 3e civ., 3 mars 1993, n° 91-15.613 ; Cass. com., 23 oct. 2007, n° 06-19.976.
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73.
J. Moury, « Une embarrassante notion : l’économie du contrat », D. 2000, p. 382.
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74.
Cons. const., DC, 10 juin 1998, n° 98-401.
-
75.
F. Chénedé, La justice commutative, A. Ghozi (préf.), 2007, Economica.
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76.
C. civ., art. 1231-3.
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77.
Code civil, projet de la commission du gouvernement, présenté le 24 thermidor an VIII, livre péliminaire, titre V, art. 1, pt 11 : « Dans les matières civiles, le juge, à défaut de loi précise, est un ministre d’équité. L’équité est le retour à la loi naturelle, ou aux usages reçus dans le silence de la loi positive ».
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78.
Cass. ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, P : « 14. Le principe ainsi énoncé était destiné à faciliter l’indemnisation du tiers à un contrat qui, justifiant avoir été lésé en raison de l’inexécution d’obligations purement contractuelles, ne pouvait caractériser la méconnaissance d’une obligation générale de prudence et diligence, ni du devoir général de ne pas nuire à autrui ».
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79.
Un certain nombre de régimes de responsabilité transcendent la distinction des ordres contractuel et délictuel, notamment la loi sur les accidents de la route de 1985 (art. 1er), la responsabilité du fait des produits défectueux (C. civ., art. 1245) ou encore la responsabilité médicale (loi dite Kouchner du 4 mars 2002 ; CSP, art. L. 1142-1 et s.).
-
80.
P. Stoffel-Munck, « Prolégomènes », in Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile, G. Cerqueira et V. Monteillet (dir.), 2021, Dalloz, p. 8, n° 11.
-
81.
Cass. civ., 11 janv. 1922, Pelletier c/ Dodoret : GAJC, t. 2, 14e éd., 2024, Dalloz, p. 367.
-
82.
Cass. 2e civ., 17 févr. 1955, SNCF c/ Cie La Préservatrice et a. : GAJC, t. 2, 14e éd., 2024, Dalloz, n° 216 ; Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, n° 16-13.407 : JCP G 2018, n° 262, obs. P. Stoffel-Munck – Adde M. Leveneur-Azémar, Étude sur les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité, Y. Lequette (préf.), 2017, LGDJ, EAN : 9782275056739.
-
83.
Avant-projet de la Chancellerie 2017, art. 1234, in fine : « Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite » et art. 1283 ; proposition de loi 2020, art. 1286.
-
84.
F. Gény, Méthodes d’interprétation et sources du droit privé positif français : essai critique, R. Saleilles (préf.), t. 1, 1919, LGDJ, n° 80, p. 186.
-
85.
J.-E.-M. Portalis, « Discours préliminaire sur le projet de Code civil », in Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil, 1844, Joubert, p. 5.
-
86.
M. Leveneur-Azémar, Étude sur les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité, Y. Lequette (dir.), 2017, LGDJ, EAN : 9782275056739. À l’avenir, les clauses contractuelles aménageant une responsabilité extracontractuelle future pourraient être licites, exception faite toutefois de la responsabilité délictuelle, v. proposition de loi du 29 juillet 2020, portant réforme de la responsabilité civile, art. 1284-1286 ; projet de la Chancellerie, 13 mars 2017, art. 1281-1283.
-
87.
Il peut s’agir de clauses élisives de responsabilité ou limitative d’indemnités ; de clauses allégeant les obligations ou de clauses de garantie ; de clauses de preuve. Pour une étude exhaustive, v. G. Helleringer, Les clauses du contrat ; essai de typologie, L. Aynès (préf.), F. Terré (postf.), 2012, LGDJ.
-
88.
Pour une approche plus exhaustive, v. P. Delebecque, « Civil Code, art. 1231 à 1231-7 : Régime de la réparation », JCl. Civil Code, fasc. 21, § 87 et s. ; P. Delebecque, « Clauses d’allégement des obligations », JCl Contrats – Distribution, maj. 2023, fasc. 110.
-
89.
« Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».
-
90.
Sur l’articulation des trois champs d’application : Cass. com., 26 janv. 2022, n° 20-16.782 : JCP E 2022, 1125, note G. Chantepie ; D. 2022, p. 725, note N. Ferrier ; D. 2022, p. 539, note S. Tisseyre ; RTD civ. 2022, p. 124, note H. Barbier ; D. 2023, p. 254, note R. Boffa ; JCP E 2022, 1253, note N. Mathey ; JCP E 2022, 1234, note L. Molina ; RDC juin 2022, n° RDC200p9, note M. Latina ; RDC juin 2022, n° RDC200t5, note P. Stoffel-Munck ; RDC juin 2022, n° RDC200r8, note S. Gerry-Vernières ; GPL 10 mai 2022, n° GPL435t0, note D. Houtcieff ; Banque & Droit 2022, n° 203, p. 16, note C. Coupet ; RD bancaire et fin. 2022, n° 3, p. 32, note S. Torck et T. Samin – Adde v. M. Malaurie-Vignal, « Un, deux ou trois déséquilibres significatifs ? Réflexion sur l’articulation entre droit commun et droits spéciaux », in Mélanges en l’honneur de C. Lucas de Leyssac, 2018, LexisNexis, p. 351 et s. ; G. Chantepie et N. Sauphanor-Brouillaud, « Déséquilibre significatif », Rép. civ. Dalloz, maj. janv. 2025.
-
91.
C. civ., art. 1231-5.
-
92.
C. civ., art. 1179, al. 1er : « La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général ». ; art. 1180, al. 1er : « La nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public ».
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93.
C. civ., art. 1179, al. 2nd : « Elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé ». ; C. civ., art. 1181 : « La nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger ».
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94.
C. com., art. L. 442-3 et C. com., art. L. 442-4, al. 2.
-
95.
C. consom., art. L. 621-7 et s.
-
96.
C. com., art. L. 442-4, al. 3.
-
97.
C. consom., art. L. 524-1.
-
98.
V. supra.
-
99.
C. civ., art. 1231. L’article réserve néanmoins le cas où l’inexécution est devenue définitive.
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100.
Ce fondement est néanmoins critiqué, v. G. Viney, Introduction à la responsabilité, 4e éd., LGDJ, 2019, p. 433, EAN : 9782275045368 et Les effets de la responsabilité, 4e éd., 2017, LGDJ, n° 190, EAN : 9782275045351.
-
101.
C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Porcédure civile, 37e éd., 2024, Dalloz, n° 147.
-
102.
C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Porcédure civile, 37e éd., 2024, Dalloz, n° 140, p. 135.
-
103.
Cass. 3e civ., 30 oct. 1991, n° 87-15.229.
-
104.
Cass. 1re civ., 6 mars 2007, n° 04-16.204.
-
105.
Sur la compétence du tribunal de commerce, C. com., art. L. 721-3.
-
106.
A. Reygrobellet, note sous Cass. com., 20 déc. 2023, n° 22-11.185 : Rev. sociétés 2024, p. 238.
-
107.
CPC, art. 46.
-
108.
Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003, nos 00-19.423 et 00-19.424.
-
109.
Cass. ass. plén., 7 févr. 1986, n° 84-15.189 : « Le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ».
-
110.
Cass. 3e civ., 28 avr. 2011, n° 10-30.721.
-
111.
Par ex. « la saisine préalable, par le maître d’ouvrage, de l’ordre des architectes prévue au contrat le liant à l’architecte, n’est pas une condition de recevabilité de l’action directe engagée contre l’assureur de celui-ci » : Cass. 3e civ., 18 déc. 2013, n° 12-18.439.
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112.
Avant-projet de la Chancellerie 2017, art. 1234 ; proposition de loi 2020, art. 1234.
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113.
Avant-projet de la Chancellerie 2017, art. 1234, al. 2.
-
114.
Proposition de loi 2020, art. 1234, al. 2
-
115.
V. supra.
-
116.
G. Viney, « Réflexions à partir d’une nouvelle proposition relative à la responsabilité du débiteur contractuel à l’égard des tiers au contrat », RDC déc. 2019, n° RDC116h7 ; M. Dugué, « Rapports entre les responsabilités contractuelle et extracontractuelle : la dernière ligne droite ? », RDC déc. 2020, n° RDC117g1.
-
117.
M. Dugué, « Rapports entre les responsabilités contractuelle et extracontractuelle : la dernière ligne droite ? », RDC déc. 2020, n° RDC117g1.
Référence : AJU016p8
