CEDH : les limites de la liberté d’expression, y compris pour un avocat

Publié le 14/04/2025 à 5h41
CEDH : les limites de la liberté d'expression, y compris pour un avocat
AlexOakenman/AdobeStock

Une juridiction serbe jugea que le mandat des conseillers municipaux, dont le requérant, avocat de profession, faisait alors partie, était parvenu à son terme.

La Cour constitutionnelle de Serbie ayant ordonné au tribunal administratif de modifier la décision en question, au motif qu’elle méconnaissait les droits de du requérant et des autres demandeurs, le requérant, en son nom propre et en tant qu’avocat de plusieurs autres conseillers, chercha à obtenir l’exécution de la décision se conformant à l’arrêt de la cour, c’est-à-dire une confirmation de ce qu’ils étaient toujours conseillers municipaux. Débouté en première instance, il fit appel et, pour les termes employés dans ses observations, fut condamné à une amende par le juge de première instance, qui considéra que leur teneur était destinée à insulter le tribunal.

Il n’est pas contesté par le Gouvernement que l’imposition de l’amende au requérant pour les arguments qu’il a présentés dans son opposition devant le tribunal interne a constitué une ingérence dans sa liberté d’expression garantie par l’article 10 § 1.

La Cour relève que le requérant a agi en qualité de représentant légal de plusieurs autres personnes dans des procédures électorales et que son recours a été préparé en cette qualité. Cela signifie que, contrairement aux critiques exprimées, par exemple, dans les media, les propos du requérant ont été tenus dans le cadre d’une communication interne entre lui, en tant qu’avocat, et le tribunal, dont le grand public n’avait pas connaissance.

La Cour note en outre que la juridiction interne a estimé qu’il ressortait clairement des objections du requérant que celui-ci ne contestait pas la décision de première instance, mais qu’il avait plutôt dénoncé le manque de professionnalisme, le manque de connaissances et le manque de dignité du tribunal et du juge, cherchant ainsi incontestablement à dénigrer le tribunal.

La Cour relève que le requérant en l’espèce a qualifié l’interprétation contestée de la loi sur la procédure d’exécution de « réflexion » aux « conséquences catastrophiques », qualifiant d’erronées et de mauvaises l’expérience et la pratique dont elle pourrait être issue, et insinuant que le personnel appliquant une telle pratique devrait être remplacé. Il a ridiculisé le professionnalisme des juges du tribunal de l’exécution en les qualifiant de « génies du droit » et de « géants du droit », en évoquant leur « ingéniosité », et a soutenu que leur conduite constituait un abus de pouvoir. Il a soutenu que la décision attaquée était « une absurdité absolue », résultant soit de la malveillance, soit de l’ignorance, et qu’en tout état de cause, elle manquait de professionnalisme. La Cour observe que la décision attaquée a été rendue dans le cadre d’une procédure à juge unique et que les propos du requérant revêtaient donc un caractère personnel, c’est-à-dire qu’ils pouvaient être interprétés comme visant uniquement le juge siégeant dans son affaire.

La Cour relève que les déclarations du requérant en l’espèce, formulées en des termes dépréciatifs et impertinents, ne se contentaient pas de critiquer le raisonnement de la décision et la manière dont le juge siégeant en l’espèce avait mené la procédure, mais constituaient également une dépréciation du tribunal ainsi que de l’expérience, de l’expertise et des compétences professionnelles du juge siégeant en l’espèce et laissaient entendre qu’il était ignorant et incompétent.

Rien ne permet de penser que le requérant n’aurait pas pu soulever son objection à la motivation de la décision litigieuse sans employer un tel langage. La Cour ne juge pas déraisonnable l’appréciation des juridictions internes, qui sont, de toute façon, mieux placées pour comprendre et apprécier le langage employé.

La Cour rappelle que l’équité de la procédure, les garanties procédurales offertes ainsi que la nature et la sévérité des sanctions infligées sont des éléments à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité d’une ingérence dans la liberté d’expression.

La Cour note que, si la décision d’infliger une amende au requérant a bien été prise par le juge qui s’était personnellement senti offensé par ses propos, la décision lui infligeant l’amende pour outrage à magistrat a fait l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif. Le requérant pouvait contester cette décision, et il l’a fait.

La Cour note enfin que le requérant s’est vu infliger une amende qui se situait au bas de l’échelle applicable prévue par la loi sur les procédures d’exécution et n’avait aucune conséquence sur le droit du requérant d’exercer sa profession.

​​Compte tenu de ce qui précède, et compte tenu du fait que les autorités nationales sont mieux placées que la Cour pour comprendre et apprécier les propos du requérant et disposent d’une certaine marge d’appréciation en la matière, la Cour considère que les motifs invoqués par les juridictions internes à l’appui de leurs décisions étaient « pertinents et suffisants » pour justifier l’ingérence et que l’amende infligée au requérant n’était pas disproportionnée au but légitime poursuivi, à savoir la préservation de l’autorité du pouvoir judiciaire. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Sources :
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